Vous est-il arrivé de vous rendre à une exposition et d’y découvrir des œuvres avec une impression de déjà vu ? D’être troublé par une analogie de posture ou d’idée, une gémellité de sens, un dédoublement de support ? Moi si ! En visitant, à la Maison européenne de la photographie (MEP), l’exhibition d’œuvres de trois artistes contemporains qui exposent jusqu’au 7 avril. Commençons par le commencement. Au premier étage, Diana Michener, une Américaine de 72 ans, présente quelques clichés grand format en noir et blanc. Ces photos ne portent ni de nom ni de date, juste une période (2002/2012). L’affiche de l’exposition était alléchante, décrivant l’artiste comme explorant «l’aspect sombre de l’amour», aux frontières de l’abstraction. Pour la béotienne que je suis, la visite s’est avérée décevante.
Aux rares clichés de nus artistiquement floutés, bougés, au granulé apparent, se sont à mes yeux substituées d’autres images plus fortes. La toile « L’origine du monde « , œuvre mutine de Gustave Courbet, par exemple. En notant toutefois deux différences entre les œuvres. Quand Michener montre les seins mais floute le sexe, Courbet choisit exactement l’option inverse. La photographe qui étudia l’art aux Etats Unis puis à la Sorbonne assure pourtant : «Je sais que je regarde des choses que beaucoup n’ont jamais regardées, que je dévoile des images que d’autres n’ont peut-être jamais vues». Ah bon ?
Au deuxième étage, on passe du noir et blanc à l’explosion des couleurs. Né en 1938 dans le Bronx, Joël Meyerowitz a fait ses débuts dans la « non-couleur » avant de se rallier définitivement à l’exploitation de la gamme chromatique, mitraillant aux Etats-Unis, en Europe et à Paris. Sa rencontre avec Robert Frank en 1962 fut une révélation. Il apprit le métier en regardant son aîné se positionner, se contorsionner même tout en déclenchant son Leica. Leçon bien apprise. Armé d’un appareil 35 mm, Meyerowitz se fait alors photographe de rues, à la recherche d’instantanés, «d’instants décisifs».
Mais dans le même temps, soucieux de révéler «la beauté du réel» (dit la notice), il utilise une chambre grand format Deardorff 20 x 25. Pari gagné. Les nombreux clichés exposés à la Maison de la Photographie illustrent la palette de son talent, l’artiste tirant le meilleur parti de la lumière. On s’amuse de ses images quasi identiques, versus noir-et-blanc/versus couleurs, Joël Meyerowitz s’étant promené longtemps deux appareils en bandoulière, avant tout préoccupé du meilleur de chaque technique. On sourit au cliché en noir et blanc légendé « kiss me stupid » qui fait irrésistiblement penser au fougueux baiser de l’hôtel de ville de Robert Doisneau.
On s’arrête devant ces photographies colorées ultra piquées dont Hopper aurait pu s’inspirer s’il ne s’était servi des clichés d’Eugène Atget. On reste ébahi devant les photos des ruines du World Trade Center après l’attentat du 11 septembre 2001 : tant de netteté, de profondeur, de contrastes et de couleurs à la fois… Certains tableaux moins sombres (par le sujet) méritent aussi qu’on s’y attarde. Tel celui portraiturant une rousse aux innombrables taches de son, auréolée d’une crinière vénitienne dont le visiteur pourrait compter les cheveux. Ou comme cette plongeuse nimbée de milliards de bulles qui défie la pesanteur aquatique en s’élançant dans son univers bleuté. Ou encore cette hallucinante scène de plage où chaque individu se trouve plusieurs fois dupliqué, mais dans des attitudes, en des endroits ou selon des angles de vue différents. Au visiteur de jouer au jeu des ressemblances. Décidément…
Au troisième étage, on passe des photographes des autres au photographe du Soi. Martial Cherrier a l’ego sans complexe. Il a travaillé son corps et travaillé SUR son corps. Sa plastique est son unique matière.
La fréquentation des salles de musculation, le recours aux pilules, comprimés et gélules en tous genres, l’utilisation à l’occasion de la seringue ont pétri ses muscles, fait jaillir ses pectoraux, saillir ses veines et tendons. Dès lors tout est dès lors prétexte à leur capture : clichés en noir et blanc contrastés sculptant le produit des suées sportives, habillage-prétexte de l’anatomie en vitrine publicitaire pour dresser l’inventaire des produits ingurgités pour en arriver là.
Des plus anodins aux plus toxiques, anabolisants, hormones et autres. Clou du narcissisme aussi glorieux qu’exacerbé de ce génie de « l’art Martial », la série de tableaux-photographiés où l’artiste s’est représenté en Icare-papillon. Comme s’il suffisait à l’homme de développer ses pectoraux et d’agiter les bras pour espérer voler ! Question ressemblance, Martial Cherrier s’est assuré de n’être jamais copié.