Fernandez, le goût du reportage bien fait

Jesse A.Fernandez a photographié pas mal de gens connus et l’on peut s’en rendre facilement compte en reconnaissant Salvador Dali, Elizabeth Taylor, Fangio ou encore Ernest Hemingway. Mais ce photographe cubain a également photographié des gens connus du continent sud-américain que l’on ne connaît pas forcément nos latitudes.

Cela signifie que l’exposition de ses photos à la Maison de l’Amérique Latine (jusqu’au 28 février) revêt un caractère singulier qui consiste à découvrir un auteur ou un artiste célèbre dont le visage n’évoque rien. On ne peut que deviner qu’il est connu parmi d’authentiques inconnus photographiés en Colombie, au Mexique ou à Cuba. N’apparaissent plus alors que les talents du simple reporter né à la Havane en 1925 et mort en 1986 à Paris.

Jesse A.Fernandez. Wifredo Lam. La Havane. 1958

Voilà ce qu’est cette exposition, le travail d’une vie. Heureusement que personne ne s’est avisé de proclamer cet homme génial comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui à propos de n’importe qui. Nous avons seulement affaire à la vie enviable d’un reporter qui s’est intéressé aux villes principalement hispanophones mais pas seulement puisque l’on dénombre d’assez remarquables photos de New York et de France. Un reporter comme il en existe beaucoup avec le goût du travail bien fait.

Sa vie est en zigzag. Il a commencé sa carrière en Colombie, couvrant l’Amérique du Sud avant de revenir à Cuba pour suivre la révolution castriste ou de rejoindre New York et Paris. L’exposition présente à propos de Castro un petit film noir et blanc, tourné juste après la révolution, et dévoilant une soirée au sein de la société cubaine. Il a été immédiatement censuré parce qu’il ne correspondait pas aux normes de la révolution. Des gens en train de fumer, boire et danser, s’amuser, pensez-un peu comme cela pouvait être subversif et dangereux parce que contagieux. Très étrange à regarder.

Jesse A.Fernandez. Carlos Fuentes. Mexico. 1957

Certaines de ses œuvres semblent banales comme cette photo d’Hemingway à la Havane en 1958. Mais pourquoi faudrait-il qu’il fasse les pieds au mur Hemingway juste pour un cliché. La part de banalité des gens connus n’est pas impertinente. Toujours traquer l’extraordinaire finit par donner une vision tordue de l’existence à celui qui s’échine à capter cette dimension comme à celui qui la regarde.

Il y a de l’artistique aussi chez Fernandez qui a fait des études de peinture et produit quelques œuvres graphiques dont on peut également profiter. On peut se laisser aller à admirer une belle photo de Times Square dans les années 60 à New York ou cette œuvre disons le mot, présentant le peintre cubain Wifredo Lam dans un environnement champêtre, décor qui ne fait que rehausser la présence singulière de cet  homme en costume au milieu des épis de blé. Ces deux photos sont si réussies qu’elles ont été justement choisies pour orner le fronton de la maison de l’Amérique Latine.

Chez Jesse A.Fernandez, il y a de vraies atmosphères, sombres, vivantes, saisies dans un mouvement qui semble encore se perpétuer sous nos yeux comme ce cliché de Carlos Fuentes dans une rue de Mexico en 1957. Beau coup de filet en l’occurrence pour Jesse A.Fernandez dont on verra aussi comment il sait tirer parti du visage de Miles Davis (au milieu d’un ensemble de photos jazzy) ou encore de celui de Dali nous l’avons dit ou, au hasard, Marcel Duchamp.

Aspect de l’exposition sur Jesse A.Fernandez. Photo: PHB/LSDP

La scénographie est des plus simples. L’alignement est chronologique, difficile de s’y perdre. Dans le reflet des portraits on voit les portraits du mur d’en face et cela fait comme un défilé de personnages qui se croiseraient sur des tapis roulants, rendant cette exposition autant vivante qu’attachante. Le tout se situant dans cette charmante maison d’Amérique Latine et, sachant que l’entrée est gratuite, sans file d’attente et avec la permission de faire des photos, franchement pourquoi s’en priver.

 

Maison de l’Amérique Latine, 217 bd Saint-Germain.

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