Une alerte reçue par email indiquait qu’un exemplaire du «Pont des Saint-Pères » écrit par le journaliste André Billy allait être mis à prix entre deux et trois cents euros. André Billy donc, celui qui en 1911 avait eu l’idée des Soirées de Paris pour réconforter Guillaume Apollinaire à la sortie de son court séjour en prison. Une brève incursion sur le site PriceMinister car on ne sait jamais, proposait ce même ouvrage sorti en 1947 pour 12 euros. Affaire conclue.
Trois clics et quelques jours plus tard, le paquet arrivait au siège actuel autant qu’un peu flou des Soirées de Paris aujourd’hui, à en-tête de la librairie Philippe Arnaiz sise à l’Isle sur la Sorgue. «Le Pont des Saint-Pères» avait été édité après guerre par la Librairie Arthème Fayard. L’exemplaire reçu par la Poste porte le numéro 595.
Un Pont des Saint-Pères qui ne porte plus le même nom. Aujourd’hui on lui préfère pont du Carrousel bien que toujours (voir commentaire d’un lecteur avisé plus bas) dans l’axe de la rue des Saint-Pères, le nom d’un pont se changeant plus aisément que son positionnement.
Ce n’est pas le premier livre de souvenirs de cet André Billy né à Saint-Quentin et ayant achevé sa longue vie du côté de Fontainebleau Barbizon. Soixante cinq ans plus tard, l’ouvrage n‘a pas perdu de sa valeur. Il nous plonge dans le Paris journalistique, littéraire et artistique de la première moitié du 20e siècle, à une époque où l’on pouvait adresser sa chronique à un journal par voie postale sans même avoir à se déplacer systématiquement à seule fin de se montrer urbain. Des revues culturelles comme Les Soirées de Paris, plus ou mois confidentielles on en dénombrait une centaine ce qui permettait à nombre de porte-plumes de voir inscrire son nom sur un papier journal et accéder ainsi à un début de notoriété sans même avoir à demander la permission.
Toutes ces aimables personnes profitaient d’une certaine liberté, fumaient de temps à autre de l’opium, pouvaient encore se provoquer en duel et n’hésitaient pas à organiser des banquets au moindre prétexte. André Billy évoque d’ailleurs à ce dernier propos qu’un jour, faute de motif pour guincher, un personnage de ces années-là avait proposé de fêter autour d’une table l’anniversaire de la mort de Roland à Roncevaux le 15 août 778. On n’était pas trop regardant du moment que la finalité était de s’amuser un brin et de se sustenter un peu.
C’est avec un talent raffiné et souvent teinté d’affection que André Billy (disparu en 1971) évoque ces années-là. Il parle en autres choses de ce petit café tabac qui fait l’angle de la rue des Petits Carreaux et de la rue Vivienne (la rue des Petits Champs en fait, voir le commentaire après l’article) , café où lui et ses amis échafaudèrent des plans pour sortir Apollinaire de prison. A noter que le lieu existe toujours mais qu’il ne fait plus tabac depuis bien longtemps.
Il s’agit de souvenirs et rien que de souvenirs. Pas de scoop. Mais l’auteur raconte si bien ses promenades dans les rues de Paris au bras d’Apollinaire que l’on finit par s’y croire. Tant de lieux décrits existent toujours et on peut toujours s’amuser à tenter aujourd’hui de chasser les ombres des protagonistes mais, l’expérience est , il faut bien l’avouer, souvent décevante.
Cependant il est toujours permis d’imaginer les deux amis installés dans un restaurant chinois qui se situait au premier étage d’un immeuble, à l’angle de la rue Corneille et de la rue Racine. Le lieu était tenu par une…allemande «mariée à un Céleste». Guillaume Apollinaire prétendait que les œufs que l’on y servait remontaient à la prise de Sébastopol et qu’il ne fallait donc pas qu’un peu d’alcool de rose pour aider à les digérer.
Un soir de l’automne 1918 rue Royale, André Billy et son ami René Bizet, attablés à la terrasse du bistrot Weber, observaient la foule fêter la fin de la guerre. Ils avaient tous les deux les larmes aux yeux car Guillaume Apollinaire venait de mourir, emporté par la grippe espagnole qui ne faisait pas de détail.
Ils avaient tous deux le sentiment qu’en partant «Guillaume avait emporté avec lui tout ce qui fait le charme de la vie» à savoir «la fantaisie, la poésie, l’insouciance, la jeunesse, l’aventure et la découverte». Et les deux hommes étaient inconsolables. Comme l’écrivait si joliment Apollinaire, «les souvenirs sont cors de chasse dont meurt le bruit parmi le vent». Mais les livres en gardent la trace.
PHB
Joli commentaire un brin nostalgique qui donne envie de se plonger dans l’ouvrage, ce pont qui relie les rives du fleuve et le passé au présent…
Tant que les pierres seront là
Tant que sous les pavés la terre sera là
Au-delà même des monuments, des plaques
Qui saura chercher, la verra un jour peut-être
Tremblante, timide, presqu’éteinte
Et pourtant toujours vivante
La mémoire.
Cher Monsieur
Votre texte est agréable à lire mais contient hélas deux erreurs factuelles qui en rompent cruellement le charme pour tout parisien.
Le pont des Saints pères n’est plus dans l’axe de la rue des Saints-Pères, justement parce qu’il a été déplacé dans les années 1830.
La rue des Petits-carreaux, où je fais mes courses, n’a jamais croisé la rue Vivienne, ces deux rues étant parallèles. Vous devez confondre avec la rue des Petits-champs.
Bon courage à vous.
Michel Courty
Paris