Marguerite Yourcenar revient chez elle

«J’ai plusieurs cultures comme j’ai plusieurs pays. J’appartiens à tous» Lorsque Marguerite Yourcenar tient ses propos, il ne s’agit pas d’une posture intellectuelle. Née à Bruxelles (1903), ayant passé son enfance dans les Flandres françaises, naturalisée nord américaine en 1947, Marguerite Cleenewerck de Crayencour, dite Marguerite Yourcenar, a fait preuve, dans son œuvre et dans sa vie, d’une inlassable curiosité qui la fit se promener à travers les pays, les siècles et les civilisations. A Bernard Pivot qui l’interviewait, en 1979,  dans sa villa de Petite Plaisance,  elle disait se reconnaître «une bonne douzaine de patries».

Pourtant, oublie-t-on jamais son enfance ? Dans cette vie d’errance et de bohème intellectuelles au cours de laquelle elle ne se départit jamais de ses origines patriciennes, on trouvera aisément un point d’ancrage plus fort que les autres. A l’âge de la maturité, Marguerite renouera avec ses racines flamandes, les étudiera  avec minutie (« Archives du Nord »); elle revivra, par l’écriture, ses longs étés  dans la propriété familiale, au Mont Noir, au cœur des Flandres françaises.  Encore convient-il de préciser que l’académicienne (qui, après avoir été élue première femme de l’illustre confrérie,  en 1980, ne participa à aucune de ses réunions !) utilisa  les éléments de sa vie familiale plus comme thèmes de fiction que comme souvenirs personnels.

Marguerite Yourcenar à l’entrée du parc Marguerite Yourcenar, le 15 décembre 1980 Photographie:© Sam Bellet / La Voix du Nord

À l’occasion des 25e anniversaire de la mort de l’écrivain, le tout récent musée de Cassel, au sommet du plus haut Mont des Flandres ( 176 m d’altitude !) propose une exposition mettant en évidence les rapports  entre Yourcenar et la peinture flamande. Le constat ne subit aucune réserve  On y trouvera les classeurs dans lesquels Marguerite Yourcenar, aussi méthodique qu’un philatéliste,  rangeait les reproductions des tableaux flamands – souvent des cartes postales – glanées au cours de ses visites de musées ou envoyées par des amis. 

Le parcours de l’exposition, très astucieusement conçu, permet de redécouvrir des chefs-d’œuvre tels que les Trois Grâces de  Rubens («Les fesses des Trois Grâces sont des sphères» écrit Marguerite Yourcenar dans Archives du Nord) , des paysages vivants animés de toute la vie flamande de Pieter Brueghel II («La Danse de noces»), ou encore, thème essentiel à l’auteure, les représentations de la vie quotidienne à une époque où le mot écologie n’existait pas, et n’était pas encore à inventer.

 

L’Arbre aux oiseaux de Jan van Kessel (©MBA Rennes, dits RMN/Adélaïde Beaudoin)

La nature y occupe une grande place. A  «L’Arbre aux oiseaux» de Jan van Kessel (1626-1679), répond la réflexion de  l’écrivaine : «Au fond je suis la servante des oiseaux. J’ai toujours pensé qu’il y avait un rapport entre les oiseaux et les anges…». Si son action pour la défense de la nature  (et plus largement du respect pour toute forme vivante) est bien connue, ses écrits témoignent également de sa passion pour la quête de l’invisible, pour l’alchimie.

Le  personnage central de  L’Œuvre au noir, Zénon, médecin humaniste du Moyen Age, dont la vie se déroule à Bruges, est un élément essentiel de l’exposition  puisque c’est pour cet ouvrage  que Marguerite Yourcenar  s’est le plus inspirée de la peinture flamande.  Les tableaux de Metsys, Michel Sittow, ou Dürer  permettent ainsi de dresser une  sorte de… portrait robot du visage de Zénon, en proie à un éternel questionnement. Et si l’on veut profiter totalement des oeuvres rassemblées ici, on tirera profit du conseil de l’écrivaine  : «regarder les images jusqu’à les faire bouger».

Il y a peu d’œuvres mineures dans cette exposition qui aborde aussi la cinéma, avec l’évocation du film de Paul Delvaux inspiré de L’Œuvre au Noir, une adaptation réalisée en 1982 en accord avec l’écrivaine dont l’ancienne propriété familiale, à quelques kilomètres du musée, est  devenue, depuis 1997,  une résidence d’écrivains européens (Villa Marguerite Yourcenar, Saint-Jans-Cappel). Des écrivains comme Charles Juliet,  François Cheng, ou Dominique Noguez y ont ainsi séjourné.

 Musée départemental de Flandre, 59670 Cassel.

Jusqu’au 27 janvier 2013.  Tél. 03 59 73 45 60

 

 

 

N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Exposition. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

5 réponses à Marguerite Yourcenar revient chez elle

  1. de FOS dit :

    Merci de parfaire notre connaissance du personnage qu’était Marguerite Yourcenar !

  2. Philippe Bonnet dit :

    Réjouissif article. PHB

  3. Bruno Sillard dit :

    «Regarder les images jusqu’à les faire bouger»…

  4. Catherine Bouche-Frémiot dit :

    Merci pour cet article qui donne envie d’aller voir cette expo… de parfaire ma connaissance de Marguerite Yourcenar et de relire « L’oeuvre au noir »

  5. Steven dit :

    Les oiseaux et les anges c’est très beau. S.

Les commentaires sont fermés.