Difficile d’être vraiment objectif à l’égard du peintre Serge Férat (1881-1958) encore exposé jusqu’au 15 janvier à la galerie Berès, 25 quai Voltaire. C’est lui qui avait avancé à Guillaume Apollinaire les deux cents francs nécessaires au rachat des « Soirées de Paris ». C’est lui encore qui soigna la blessure de guerre d’Apollinaire à son retour du front en 1916.« Viens demain soir à La Rotonde, écrit Apollinaire en novembre 1913 à Serge Férat, car ni aujourd’hui ni demain je ne pourrai aller chez toi. Je serai à La Rotonde à 6 ½., ne viens pas tard. Ton ami. Guillaume. » Il y avait de l’amitié entre ces deux hommes du même âge à un an près.
Il semble que le bilan provisoire de l’exposition ne soit pas à la hauteur des espoirs de la galerie Berès (malgré des prix somme toute raisonnables) qui emmènera néanmoins quelques œuvres de Férat à la BRAFA (1). Entre la galerie du quai Voltaire et sa petite sœur du 35 rue de Beaune, l’occasion est bonne pourtant, de découvrir la production de cet artiste né à Kiev en 1881 et qui pouvait légitimement se retourner lorsque qu’on le hélait par son vrai nom : le comte Jastrebzoff.
Serge Férat part de Kiev en 1898. Avec sa cousine et « sœur » la baronne Hélène Yadwiga d’Oettingen, ils fréquentent le Paris des artistes. C’est Pablo Picasso qui présentera Serge Férat à Guillaume Apollinaire. L’un est ukrainien, l’autre polonais et ont donc tous les deux un passeport russe. L’intervention financière de Serge Férat sera déterminante pour la remise à flots des Soirées de Paris. Il en sera le co-directeur sous le nom de Jean Cérusse. C’est grâce à lui et à la baronne Hélène que la rédaction pourra emménager au 278 bd Raspail.
C’est dans la discrétion que, parallèlement, Serge Férat peint et dessine. Il est une des figures du cubisme et décline quelques constantes comme les arlequins les écuyères ou les guitares (homme à la guitare jaune, arlequin à la guitare, nature morte à la guitare). C’est un perfectionniste, réputé pour détruire nombre de ses œuvres.
Sur une photo qui date du mois d’août 1916, à l’hôpital italien du quai d’Orsay, on peut le voir sur une photo rendue célèbre par la présence d’Apollinaire. Un charme évident se dégage du visage de cet homme avec lunettes et moustache qui ne ménagea pas son soutien à de nombreux artistes. C’est l’expression de ce charme-là qui se dégage toujours de sa peinture et de ses dessins avec de surcroît comme des échos visuels d’une époque bien lointaine. Il est temps, pour quinze jours encore, de s’en laisser convaincre.