Les expositions universelles et les Salons de peinture ont adoré, non sans ambiguïté, se rengorger de l’exotisme des colonies françaises. Il fut souvent difficile de parer l’inévitable condescendance mais il y eut aussi des enthousiasmes sincères, parfois maladroits, qui surent produire des échanges fructueux.
Le discret musée Cernuschi nous propose aujourd’hui, dans l’intimité de son espace d’exposition temporaire, de découvrir comment autour de l’Ecole des Beaux-Arts de l’Indochine, créée en 1924 à Hanoi par Victor Tardieu, s’est construit un mouvement de va et vient entre artistes français et indochinois, vietnamiens pour l’essentiel.
S’affirme d’abord la grande curiosité des peintres français pour ces nouvelles contrées. Après l’Algérie ou le Maroc, la péninsule indochinoise offre une nouvelle source d’inspiration. Toutes sortes d’artistes s’y pressent : des amateurs plus ou moins éclairés que les contingents de fonctionnaires civils ou militaires fournissent en nombre, mais aussi des peintres-voyageurs, le plus souvent encouragés par des financements publics. Et que rapportent-ils ? Une imagerie qui paraît au premier abord un peu caricaturale dans sa façon de fantasmer la sérénité asiatique mais très chaleureuse dans son dessin et dans ses couleurs.
Mais l’intérêt de cette exposition tient à la bascule qui s’opère à mi-chemin : si l’Ecole des Beaux-Arts de l’Indochine a accueilli et encouragé des artistes français à venir découvrir les colonies, elle les a aussi sollicités pour contribuer à la formation des artistes locaux. Et c’est là qu’éclot l’échange fascinant. Où l’on voit certains de nos concitoyens s’essayer avec plus ou moins de bonheur et de modestie à emprunter les techniques « indigènes », notamment l’art très délicat de la laque… Et où l’on découvre aussi les tentatives, elles aussi inégales, d’artistes locaux pour appréhender le maniement de l’huile sur toile ou de la sanguine.
Sans doute faudra-t-il beaucoup d’intelligence à Victor Tardieu et à ses collègues pour convaincre Paris que la richesse de l’art vietnamien peut certes se nourrir de l’apprentissage de choses connues, comme les à-plats ou les perspectives, mais que chercher à étouffer les peintres de nos savoir-faire n’aboutirait qu’à la destruction de leur talent et de leur culture. C’est donc fort habilement que, ensemble, les artistes s’acharnent ensemble à donner aux arts traditionnels que sont la laque et la peinture sur soie tous les moyens techniques grâce auxquels ils franchiront le seuil qui sépare l’artisanat de l’art. La dernière et grande salle de l’exposition est un éblouissement : les artistes vietnamiens se sont appropriés ce que l’Occident pouvait leur apporter de meilleur et l’ont entièrement transcendé, le support offert par la soie contribuant à donner une parfaite sincérité à la sérénité asiatique restée un peu laborieuse chez leurs confrères français.
Les limites de la typographie informatique empêchent de citer sans les écorcher les noms de tous ses artistes mais l’un d’entre eux mérite un détour au 1er étage du musée : Nguyen Phan Chanh. Trois de ses peintures sur soie sont les héroïnes d’un petit film qui retracent le long parcours de leur restauration par une experte japonaise. Avec cette dernière, on partage la découverte stressante des fils de soie que les températures chaudes et humides ont couverts de moisissures, des miettes de tissu qu’il faut reconstituer et des cartons encollés qui se transforment en grumeaux. (Rassurez-vous, l’histoire finit bien…).
En pratique : Musée Cernuschi, 7 avenue Velasquez, 75008 Paris. Mardi-dimanche inclus de 10 à 18H.
Jusqu’au 27 janvier
Un texte exquis qui nous console de nos médiocrités