L’Impressionnisme a-t-il influencé la mode ou bien est-ce la mode qui s’est inspirée des Grands Maîtres ? Question prétexte pour mettre en scène au Musée d’Orsay le dialogue qui s’instaura dans la seconde moitié du XIXème siècle entre les impressionnistes et les couturiers de l’époque. Une exhibition insolite qui mêle le goût de l’éphémère et le goût de l’éternité de ces créateurs.
Témoins du look et du comportement de leurs contemporains, Monet, Manet, Degas, Caillebotte, Renoir… ont dans leurs chefs d’œuvre immortalisé l’élégance au quotidien de leurs concitoyens, du temps de Napoléon III et du début de la Troisième République. Avoir réuni leurs tableaux et plusieurs modèles de l’époque en provenance du musée Galliera (fermé jusqu’à l’automne prochain) permet au visiteur de juger des emprunts réciproques. Avec en apothéose du jeu des similitudes la tenue qu’arbore Prospérie Bartholomé dans le portrait que fit d’elle son époux, intitulé « Dans la serre ». C’est l’unique tableau qui a sa réplique en tissu dans l’exposition. Il s’agit d’une robe bicolore à corsage baleiné, tunique à paniers et jupe plissée associant avec une audace très sûre les pois et les rayures. Soulignée de nœuds plats de faille violette, la toilette, portraiturée ou montée sur un mannequin, ne lasse pas d’émerveiller par son élégance et le double étage de son fin plissé. Bien qu’ayant peint sa chère épouse à contre-jour, Albert Bartholomé ne dissimule rien de la délicatesse de ses traits… ni des feux du saphir qu’elle porte à l’annulaire gauche.
Catalogues, publicités et magazines de mode permirent des allers et retours constants entre peintres et couturiers. Assurant une forme de navette entre fils, aiguilles et pinceaux. Même les rares gravures de « La dernière mode », l’éphémère publication de Stéphane Mallarmé (8 numéros) contribua à sa manière à enrichir les échanges. Epris d’esthétisme, le poète usait de pseudonymes féminins pour alimenter (seul !) sa revue. Sans parvenir à durablement concurrencer la « vraie » presse de mode de l’époque.
Orsay nous parle d’un temps, pas si lointain, où la femme accumulait les superpositions pas toujours confortables : chemise, corset pour étrangler la taille et rehausser la poitrine, cache-corset pour éviter aux baleines de blesser la chair, sous-jupon et jupon. Malcommode, la crinoline avait cédé la place aux poufs garnis de crins et aux tournures, ces « faux-culs » accentuant la cambrure des reins et limitant l’ampleur de la silhouette à l’arrière. La marche ininterrompue vers le longiligne venait de s’engager.
L’exposition met en scène tableaux et toilettes selon l’endroit où les tenues se portent, chez soi, en plein air, au théâtre, au cirque… En ce temps là, les belles avaient encore le loisir d’enfiler quotidiennement plusieurs tenues, changeant de robe jusqu’à huit fois par jour selon l’emploi du temps. Il y avait le déshabillé du matin, un simple peignoir ou une « matinée » nécessitant (déjà) le port du corset. Il y avait la robe de jour en coton léger ou en jaconas (coton serré) imprimé, la robe de ville (ou de visite) et la robe des champs pour les piqueniques. Il y avait enfin la robe du soir voire de grand soir au décolleté étourdissant comme celle de « La loge » de Renoir.
Les tenues se transmettaient volontiers de mère à fille, voire d’aïeule à petite fille, quitte à les ravauder. Elles se vendaient souvent en kit (corsages et jupes séparés), l’ensemble étant ajusté à bonne taille dans les Grands Magasins qui venaient de s’ouvrir. Les styles étaient variés, les textures et matières mélangées. Claude Monet en a rendu le saisissant contraste dans son « Portrait de madame Gaudibert ». La belle arbore un chatoyant châle en cashmere sur une robe en taffetas de soie au tombé impeccable. Les matières étaient travaillées de bouillonnés, ruchés, retroussés, elles s’ornaient de broderies, passementeries, soutaches (tresses). Avec lourdeur parfois, au propre (la tenue pesait des dizaines de kilos) comme au figuré, on se gaussait des femmes qui se drapaient «comme du mobilier »… La soie était le tissu imposé pour les soirées à l’Opéra, soie dont on chuchotait pourtant qu’elle était « la marque de fabrique des courtisanes qui se louent cher ».
L’exposition consacre aux accessoires l’importance revêtue à l’époque, particulièrement les gants et chapeaux sans lesquels nulle distinguée n’eut l’impudence de sortir. Ce n’est pas un hasard si Manet pare sa « Parisienne » d’un coquet feutre cascadeur : pas question de « sortir en cheveux » ! Dans la vitrine des couvre-chefs de tous poils, on a eu le béguin pour celui qui rappelle le bibi dont Scarlett nouait sous son cou les pans de velours dans « Autant en emporte le vent ». Nostalgie d’un temps où modiste était un métier, métier grâce auquel Gabrielle devint Coco Chanel.
L’homme moderne trouve aussi sa place dans l’exposition mais il intéresse moins la visiteuse. « La mode est française simplement parce qu’elle ne saurait se passer du concours de la Parisienne » l’en excuse d’entrée de jeu Emmeline Raymond, une faiseuse de mode des années (18)70. Que les curieuses prennent tout de même le temps de s’attarder sur le portrait que Fantin Latour fit d’Edouard Manet en haut de forme et costume trois pièces dépareillées. Pour s’extasier du rendu de la finition de son gant de cuir fauve.
Mécène de l’exposition, LVMH est à la fête. La marque Christian Dior a procédé à la restauration des modèles, Louis Vuitton pose ses valises dans plusieurs salles, Guerlain pointe son nez dans les vitrines avec plusieurs flacons dont le fameux Vétiver créé en 1870. On a même pu voir dans l’huile sur toile d’Edgar Degas intitulée « La Bourse » un clin d’œil d’initié au géant du CAC 40.
L’exposition se tient Jusqu’au 20 janvier 2013 pour un tarif qui n’est pas donné : 12 € en tarif plein.
Qui triomphe de la robe ou du tableau ? Le pinceau a toujours déshabillé les dames pour le bonheur des messieurs, La mode a habillé les dames pour leur bonheur à elles.
Avec les Grands Magasins, Aristide Boucicault (l’inventeur du Bon Marché) et ses successeurs ont permis que s’entrouvre la première porte de la révolution des femmes : elles pouvaient sortir seules, servies par des femmes. Ce n’est pas par hasard, si mes souvenirs sont bons, que les « pétroleuses » britanniques s’en allaient manifester devant ces magasins.
C’était la révolution de la mode grâce aussi à la révolution de la presse, qui a permis la diffusion des patrons, grâce à la révolution des transports qui acheminait les tissus, mais aussi les boutons et broches qui vont avec ! Les femmes étaient enfin à la tête de leur petite entreprise. Là où les hommes n’avaient pas leur place. Et pourtant il leur fallut attendre les années trente pour que leur corps se libèrent des baleines et autres corsets. Et les années soixante pour disposer librement d’un compte bancaire.
Et même si faire et défaire c’est toujours évoluer.
La mode habille les dames pour le bonheur qu’elles éprouvent à se savoir regardées et les hommes tiennent désormais le haut du pavé dans les affaires de mode, si je puis me permettre cher Bruno…