Je n’y vais que très rarement. Thouars est une petite ville du nord des Deux-Sèvres, non loin de Saumur. Elle connut ses heures de gloire, quand, quelques siècles plus tôt, les marchands des Flandres y rencontraient ceux d’Espagne. Des riches heures dont il reste aujourd’hui encore des monuments, souvent magnifiques. Aujourd’hui, Thouars s’est endormie, loin des autoroutes ou du TGV.
Jusqu’au début les années soixante, quand je jouais dans le jardin, je pouvais voir une dentelle de pierre dessinant une rosace qu’un seul arc gothique soutenait. Dernière trace d’une église qui devait autrefois s’appuyer sur la grande demeure. Un jour, la rosace s’est effondrée, seul l’arc brisé, restait toujours debout. Plus tard, on le fera tomber, trop dangereux sans doute. Dans les entrailles de cette ville fortifiée courait moult galeries souterraines. Tout gamin, il nous fallait jurer et jurer toujours que jamais nous nous y aventurerions.
Proche de la maison, une tour : la tour du Prince de Galles, admirablement conservée, couverte d’un toit en ardoise. Un jour avec un copain de vacances, je chapardai les clefs que mon grand-père, un couvreur travaillant pour les monuments historiques, conservait accrochées à un vaisselier.
Un escalier nous mena, le cœur battant, sous les charpentes du toit. Deux cages en bois massif, trônaient là, de ces cages moyenâgeuses, qui interdisaient aux prisonniers de se tenir debout. Comme si nous avions dérangé quelques fantômes, la peur nous saisit et nous dévalions à vive allure les escaliers qui nous menaient vers la sortie.
Mes dix ans et quelque étaient déjà loin quand j’appris que l’on y enfermait les contrebandiers de sel. La tour resta une prison jusque pendant la Révolution. Depuis quelques années, on la réveille épisodiquement pour des expositions.
Alors même que je songe à cette tour, une étrange histoire lue dans un livre sur les guerres de Vendée (*) me revient à l’esprit.
La Révolution était en guerre. La fête des premières années avait cédé la place aux massacres de septembre et à la terreur. En ce début 1793, Louis XVI fut guillotiné. On enrôlait de forces les paysans de nos campagnes pour défendre des frontières dont ils n’avaient aucune idée et les curés des villages devaient jurer allégeance à la République.
On s’attendait à ce que le vent de la révolte souffle sur la Bretagne, et ce fut sur le bocage de la Grande Vendée que la tempête éclata. Tout un peuple de paysans s’était levé contre une République qu’il ne comprenait pas. Les chefs, la noblesse locale, ne se sont ralliés qu’ensuite, sur l’insistance de nos campagnes. Noirmoutier, Nantes, Angers, Saumur, Cholet furent emportées. Une guerre contre toutes les règles, les armées de dizaines de milliers de paysans se formaient, attaquaient, mais sitôt les villes tombées, les paysans s’en retournaient à leurs champs.
L’insurrection commença en mars 1793, Thouars, citadelle réputée invincible tomba en mai.
Il s’appelait Gabriel Guillot de Folleville, curé de son état, personnage obscur qui fréquentait de jour les clubs révolutionnaires et rejoignait, la nuit, les contre-révolutionnaires. Il était à Thouars quand la ville tomba, il fut arrêté vêtu d’un uniforme de la République. Il explique qu’il fut enrôlé de force. Il se présente : il est en réalité évêque d’Agra, in partibus infidelium (en terre infidèle), sacré secrètement et chargé de rejoindre les soldats au Sacré Cœur, le symbole qu’arborait les troupes insurgées.
« Un évêque, nous avons un évêque ! », les Vendéens qui ne manquaient pas de prêtres, s’agenouillèrent enfin devant celui qui représentait le Pape. Voilà bien la preuve que Dieu était de leur côté. Guillot de Folleville intronisé chef religieux de la Vendée militaire, prodigua force bénédictions, force sermons. Il entra en tête dans Saumur, puis ce fut Angers. Il dit un Te Deum pour la chute de Nantes.
« Un évêque, nous avons un évêque ! », certains s’interrogeaient sur ce diocèse d’Agra dont on ne trouvait nulle trace. D’autres remarquaient qu’en confession, le prélat pardonnait sans imposer de pénitence. Une fois même, il avait oublié pendant six semaines de dire la messe. Une autre le trouva fort mondain. Enfin on dépêcha un émissaire à Rome.
Quand il revint, la Vendée avait bien changé. Les armées de la Convention avaient repris le dessus. Le 17 octobre, au lendemain du désastre de Cholet, la dernière grande bataille de cette guerre, un curé traduisit devant les généraux de l’armée en déroute la réponse en latin du Pape. Jamais il n’avait nommé d’évêque d’Agra ou d’ailleurs. Les généraux furent eux-mêmes sermonnés. Pourtant, fallait-il désespérer davantage ce peuple errant ? 80.000 hommes, femmes, vieillards et enfants s’en allaient traverser la Loire pour rejoindre d’hypothétiques bateaux anglais à Grandville en Normandie. Le Conseil décida de garder le secret du faux prélat et on embarqua Guillot avec ses atours d’évêque dans cette folle exode. Aucun navire anglais n’attendait à Granville. Au terme de cette virée, on estime que seules 4.000 personnes ont dû regagner leur Vendée. Parmi celles qui ne furent pas tuées dans les combats, 20.000 furent faites prisonnières et… exécutées. Guillot de Folleville comptait dans ce nombre. Il fut guillotiné à Angers en tant qu’évêque d’Agra le 5 janvier 1794, jouant son rôle dignement, jusqu’au bout.
Il y eut trois guerres de Vendée. On pense qu’entre 170 et 300.000 personnes furent tuées, massacrées.
Je remonte par la rue du Château, je regarde les maisons moyenâgeuses à colombage. Une histoire de famille. Je souris. Mais c’est une autre histoire.
(*) Les guerres de Vendée par Emile Gabory,
Coll. Bouquins, Robert Laffont
Petite note : On confond souvent Vendéens et Chouans. Les premiers venaient des départements du sud de la Loire, Vendée, Maine et Loire ou Deux-Sèvres. Ils étaient organisés en armées de plusieurs milliers d’hommes. Les Chouans qui se sont engagés plus tard vers 1794. Ils venaient du nord de la Loire, Mayenne, Bretagne ou Normandie. Ils œuvraient en bande, harcelant les soldats républicains pour disparaître aussitôt après. Souvent on trouvait à leurs têtes un prêtre alors qu’en Vendée il était hors de question qu’ils ne se servent d’autre chose que d’un goupillon. Cela dit, le lieu où les troupes vendéennes se sont amassées devant le château de Thouars, pour faire diversion et permettre à une seconde armée de rentrer par derrière, a été nommé Le pont des Chouans !
Après ça essayez d’être pédagogue !
La tour du Prince de Galles sur Wikipédia
Histoire étonnante de cet evêque, mélée aux souvenirs de cette tour qui m’a vu grandir, (j’habitais à son pied) pendant 5 ans je suis passée tous les jours devant, voire même passée dessous quand je ne rentrai pas directement de l’ecole …. masi cela aussi, est une autre histoire ! Merci petit frère de remémorer ces souvenirs !
Depuis ce matin je visualise mieux Thouars
Récemment de passage à Dinard, j’ai pu voir deux films de la sélection du festival du film britannique. Étrangement, les deux parlaient de l’Irlande du Nord (Good Vibrations et Shadow Dancer). Votre rappel de cette guerre civile française, ravive en moi la réalité des abominations qui se sont passées en Ulster et encore plus proche de nous dans le temps en ex-Yougoslavie. Le pire de tout c’est que, honnêtement, j’aurai dans tous les cas, choisi ou dû choisir, un camp. Le reflet de mon miroir peut m’inquiéter mais je ne puis l’effacer.
merci pour ce commentaire ayant habite 1 place des cordeliers ‘ ancien monastere pouvez vous me donner des renseignements sur ce monastere
Les Cordeliers est le nom que se donnaient les Franciscains en France. Tous les convents furent fermés pendant la Révolution. Celui de Thouars fut détruit en 1855. C’est drôle que vous posiez la question puisque l’arc dont je parle au début était le dernier souvenir de l’église des Cordeliers. A sa place passe désormais une rue…
Vous oubliez dans les départements de la Vendée militaire la Loire-Atlantique, Inférieure à l’époque avec ses paydrets du Pays de Retz et ses gâs du Loroux du vignoble et du Pays du Loroux-Bottereau dont Charette disait qu’ils étaient ses grenadiers !
Vous oubliez dans les départements de la Vendée militaire la Loire-Atlantique, inférieure à l’époque, avec ses combattants « paydrets » du Pays de Retz et ses « gâs du Loroux » du Pays du Loroux-Bottereau dont Charette disait qu’ils étaient ses « grenadiers ».