Cela commence par un mariage au mois de juillet 1992. Et de la façon dont elles le décrivent, les journalistes Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin donnent l’impression d’avoir été présentes parmi les convives invités ce jour-là, aux noces de Anne Sinclair et Dominique Strauss-Kahn. Le lecteur hume bien «l’air un peu frais» de la terrasse où les personnalités se pressent. On s’y sent les invités clandestins.
A vrai dire le livre, chichement intitulé «Les Strauss-Kahn», n’est pas tellement romancé comme le laisse croire la pub de l’éditeur Albin Michel. Il s’agit plutôt d’une enquête bien racontée et bien renseignée. Les deux journalistes du Monde sont considérées comme de bonnes collectrices d’information dans la profession, de bonnes reporters. Comme deux poissons à contre-courant elles savent trier le flux descendant des grandes et petites informations du monde politique. Avec «Les Strauss-Kahn», nous sommes loin des bouquins vite faits bien faits de certains grands éditorialistes qui font un best-seller avec deux anecdotes et trois bons mots.
Leur livre est dense. Les informations sont si nombreuses, pour qui ne fait pas partie du petit milieu où chacun sait tout ou à tout le moins le laisse entendre, que l’on a l’impression d’être littéralement transfusé. Pourquoi les Strauss-Kahn et singulièrement Dominique Strauss-Kahn en sont arrivés là, voilà l’angle de tir. Si le livre fait quasiment l’impasse sur l’affaire du Sofitel de New-York, le sujet est expédié en quelques pages à la fin de l’ouvrage, on comprend mieux en revanche, par l’histoire, l’anecdote, les relations, les ambitions, le goût du pouvoir, le goût de l’argent, l’attrait du stupre enfin, comment un homme à la trajectoire en apparence irrésistible, finit par s’encastrer à pleine vitesse dans un mur peut-être dressé pour.
Peut-être que la fin de l’ouvrage annonce-t-elle un tome 2, du moins en donne-t-elle l’envie. Parce que le scénario conduisant à la catastrophe médiatiquement planétaire que l’on sait, est très bien construit. Il démontre comment, entre autres choses, Dominique Strauss Khan, sous-estime la concurrence de son propre camp. Ainsi il fait montre de peu de considération, c’est une litote, pour Ségolène Royal lors des primaires socialistes. Mais, au décompte des voix, elle lui passe largement devant. A cette époque «il» est conseillé par l’un des pontes de l’agence EuroRSCG. «Elle» est accompagnée par l’une de ses amies qui dirige l’agence Ogilvy.
Cinq ans plus tard, à l’approche des présidentielles de 2012 et alors que tout semble le porter vers une victoire garantie sur facture, il se montre encore moins aimable pour l’actuel président François Hollande. «Un rigolo» dit-il du député de Corrèze selon le livre, et d’ajouter, «s‘il m’emmerde celui-là, je l’écrase». L’histoire s’écrira autrement.
Petit à petit en effet, le livre lève le voile sur la vie pourtant privée de l’un des grands préférés des Français. Son rapport aux femmes le met en danger et l’on apprend comment certains de ses proches et même Nicolas Sarkozy dans ses habits de chef de l’Etat le mettent en garde à ce sujet lorsqu’il s’en va aux Etats-Unis prendre la tête du FMI. Sans doute qu’un certain sentiment d’impunité, que l’idée que l’on s’en sortira toujours parce que l’on s’en est toujours sorti, rendent sourd aux signaux d’alerte. C’est ce que l’on comprend en partie.
Voilà ce que l’on aimerait savoir un jour sur DSK. Etait-il le seul responsable de ce qui lui est arrivé, l’a-t-on un peu aidé, était-il l’homme à abattre… Menotté, accusé, emprisonné et finalement reparti libre des Etats-Unis, tous les rebondissements semblent possibles à la lecture des épisodes précédents.En attendant la suite, les deux journalistes du Monde ont signé un magistral tome 1.
Un commentaire qui renforce l’envie de se plonger dans l’ouvrage. Le « sentiment d’impunité » évoqué devrait faire méditer plus d’un… A commencer par les constitutionnalistes à l’origine de l’immunité présidentielle.
La lecture de l’opus laisse abasourdi. On connaissait le scipt, mais pas à ce point… Comment tant d’erreurs ont-elles pu être accumulées, tant de signaux ignorés ? Un comportement suicidaire… curieusement non dénué de paranoïa. Facilité par un environnement hésitant entre pardon facile et encouragement complice. On frémit à l’idée qu’il aurait pu être Chef d’Etat ! Voici deux journalistes courageuses qu’on avoue lire avec plaisir.