Au rayon babioles, bijoux fantaisie, sacs à main et autres baise-en-ville, comme un flottement, un tremblement, pas énorme sur l’échelle de Richter, mais tout de même, ça secoue, ça perturbe, ça vous les met en pelote, les nerfs, ce genre de manifestation soudaine et sournoise. Au mur, là, pas très loin des caisses, en grandes lettres, noires sur la couleur fadasse revêtant l’intérieur de ce Monoprix de quartier, était écrit «Le charme inattendu d’un bijou… Charles Baudelaire».
La première réaction, après avoir maîtrisé avec succès un emballement cardiaque et quelques tics nerveux, fut d’émettre une série de variations autour d’un même thème qui ne pouvait être forcément que très pessimiste. En vérité je vous le dis, c’en est bien fini, les épiciers n’ont plus aucune vergogne. Que peut-il en être de ce monde d’épiciers sans vergogne ? Quand, à la société de consommation, s’ajoute le manque de vergogne de l’épicier alors… autant se rabattre incontinent sur l’étrange, le bizarre, la boisson matinale de la polonaise !
Interrompant ces tentatives de questionnement métaphysique sur cette dernière note «audiardesque», apparut en pleine lumière l’idée que ces gens-là, dans la vacuité qui les occupe au quotidien, éprouvaient tout simplement comme une sorte de détestable manie de la décoration. Ils décoraient, les bougres, quoi qu’il arrive, à tout va, faisant feu de tout bois, à grands renforts de gratuité, bénissant des deux mains et chaque jour le «domaine public» où ils pouvaient puiser sans limites et s’en mettre jusque là, pour pas un rond.
Ils s’offraient, et pas cher, du Charles Baudelaire pour «faire joli», comme d’autres accrochent au mur un «vieux Rouen». Le vers est vilainement dérobé à un petit poème, «Lola de Valence», une pièce des Epigraphes.
Inutile de chercher, de se renseigner, vous avez très peu de chance de trouver en magasin le «bijou de Lola». A moins que, mais aucun communiqué de presse ne le confirme à ce jour, l’enseigne ait décidé d’élargir très considérablement l’éventail de ses prestations.
Il paraît que du côté du cimetière du Montparnasse, il fallait s’y attendre, ça a bougé. Quelque chose s’est retourné ! Certains ont très distinctement perçu un «Crénom !» prononcé d’une manière assez sèche, dénotant un fort agacement. Charles Baudelaire, il semble qu’il l’ait d’ailleurs écrit quelque part, savait bien que toujours il se trouverait quelqu’un pour venir pisser sur votre tombe. Il faut ajouter hélas, qu’en l’occurrence, c’est bien sur toute la Poésie, que ces gens-là pissent.
Pierre Chiquelin
Post-Scriptum: Edouard Manet a achevé la Lola de Valence en 1862. C’est cette peinture qui a inspiré Baudelaire pour le quatrain suivant:
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http://escholarship.org/uc/item/3vz2d3dj#page-1
Quel joli quatrain