«Pop’Pea, quand la musique pop met le feu à l’opéra» avait prévenu l’affiche, kitsch à souhait. D’accord, mais il ne fallait pas laisser l’incendie faire tant de ravages. C’est en effet une adaptation très libre du Couronnement de Poppée de Claudio Monteverdi que nous propose le Théâtre du Châtelet. L’«idée originale» en revient au maître des lieux, Jean-Luc Choplin, qui persiste et signe avec une jubilation évidente dans sa volonté de liberté populaire en bousculant les codes.
Mais si l’opéra vidéo-pop présenté aujourd’hui ne manque pas de défauts, force est de saluer sa vitalité et sa modernité. On pourra s’y frotter avec plaisir à condition d’avoir été averti. Car si les groupies de Benjamin Biolay et autres Carl Barât se targueront dans la cour de récréation (ou, pour les plus anciens, à la machine à café du 2e étage, près du service compta) d’avoir vu leurs idoles sur scène pour de vrai j’te jure dans un opéra, les puristes de l’art lyrique passeront leur chemin, à moins de consentir à sentir souffler un vent nouveau et décoiffant.
Les premiers obtiendront en accéléré une conscience classique factice, tandis que les seconds plongeront dans l’interdit comme dans un premier joint. Soit un opéra baroque vraiment pas rock à l’intrigue mêlant amour, trahison, pouvoir. Conservez-en le squelette pour le confier à de fins tailleurs d’aujourd’hui, chacun dans leur domaine, texte, musique, mise en scène et interprétation. Ici c’est en chanteur à succès que Néron part en tournée triomphale à travers l’Empire (pour preuve de sa débauche il brise sa guitare en la frappant au sol à la fin des concerts, bravo pour le cliché !). Mais à force de simplification de l’intrigue, il manque une bonne part des pièces du puzzle qui du coup est difficile à constituer. La mise en scène certes surprend agréablement, même si en dépit des moyens engagés, cela paraît comme du bricolage d’enfant génial.
Pierrick Sorin à la « scénographie-vidéo » emporte ainsi la palme du spectacle, il apporte la véritable touche originale. Quant à la distribution, flambant étendard promotionnel de ce barnum en langue anglaise, elle est pour le moins inégale. Les filles, et particulièrement la soprano française Valérie Gabail dans le rôle de Poppée, sauvent la mise, par le chant et la prestance. Marc Almond, mais oui le chanteur de Soft Cell (Tainted Love, que celui qui n’a pas fredonné cet air me jette la première pierre), est convaincant en Sénèque, philosophe conscience morale de l’œuvre. Les autres garçons sont mauvais. Ils sont détestables, en cela c’est vrai, ils jouent leur rôle à merveille. Mais supporter Benjamin Biolay et Carl Barât bras ballants sur scène ne sachant visiblement pas ce qu’ils font là et agressant nos oreilles, est une expérience peu réjouissante. Bon, ça y est, j’ai craché mon inoffensif venin. Je pensais juste avec nostalgie au premier album de Benjamin Biolay, Rose Kennedy, quand l’artiste ne prétendait pas chanter et causait Français.
Paradoxalement, ces deux énergumènes mâles, très mâles, garantissent à Pop’Pea son indispensable caution « sex drug et rock and roll ». Cela ne suffit pas totalement pourtant à faire du spectacle une réussite totale, car à trop vouloir flatter le jeune (c’est l’ancien qui s’adapte au moderne sous la contrainte), on saccage le classique. Les brillants initiateurs du projet ont sans doute beaucoup d’idées personnelles à mettre en valeur pour ne pas avoir à singer. Même si la grimace est ici finalement recommandable, comme un premier pétard.
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