Elle arrive à Berlin en 1930. Elle a vingt ans. Son album de photographies sous le bras, Eva Besnyo grimpe les escaliers de chaque immeuble où elle a repéré un photographe professionnel susceptible de lui donner du travail. Elle a fui Budapest et son régime fascisant. Sa volonté d’émancipation trouve à s’exprimer dans une ville ouverte aux expériences artistiques. Moins connue que ses compatriotes Robert Kapa ou André Kertész, Eva Marianne Besnyö succède à Berenice Abott au Musée du Jeu de Paume jusqu’au 23 septembre.
L’avantage, avec les quelques photos de plage de Eva Besnyö, c’est qu’à quelques encablures de l’été, l’œil se fait aussitôt bienveillant. On éprouve facilement une certaine sympathie pour ces corps emmêlés qui font l’affiche de l’exposition. C’est comme cela que cette photographe disparue en 2003 nous aguiche et nous attrape pour mieux nous montrer l’ensemble de son travail dominé par le reportage social ou la photo d’architecture. Avec Eva Besnyö, le visiteur va de l’intimité de l’album photographique familial et balnéaire à des prises de vues ou l’élégance domine, comme celle probablement prise au bord d’un lac en 1932 qui n’a pas de titre et qui n’est sans évoquer le style de Jacques-Henri Lartigue.
C’est d’un talent tranquille que procède l’œuvre photographique d’Eva Besnyö. N’y cherchez pas de photo foudroyante il n’y en pas et, par conséquent, aucune ne monte directement au cerveau. Il faut faire l’effort de s’arrêter quelque peu comme devant ce cadrage d’un genre architectural, avec sa profondeur et sa sérénité lumineuse qui infuse lentement ses bienfaits comme un sachet de verveine.
Cette femme juive qui deviendra plus tard une féministe militante quitte Berlin en 1932 pour Amsterdam où une exposition lui apportera un début de notoriété. Avec la montée du nazisme, elle s’implique en politique en participant notamment à l’exposition anti-olympiades D.O.O.D (De Olympiade onder Diktatur) en 1936 et passe l’année suivante commissaire de l’exposition internationale, Foto 37. Ses origines religieuses la feront entrer dans la clandestinité avec l’arrivée des troupes allemandes et, pour éviter un sort souvent irréversible, elle se fait «aryaniser» en 1944.
Dans les années 60 Eva Besnyö signe encore quelques jolies photographies, comme Borgerstraat en 1960, mais son œuvre par la suite peine à se distinguer des autres au fur et à mesure que la technique photographique se popularise, entraînant un accroissement de la population des photographes, amateurs ou professionnels. Ce phénomène de dilution n’a jamais cessé de s’étendre.
L’itinéraire de sa vie, fait que l’on s’attache à cette femme, militante déterminée, et photographe sérieuse, qui ne cherchait pas le coup de force visuel pour épater le badaud. Eva Besnyö était une bonne photographe c’est une évidence et le mérite revient aujourd’hui au Musée du Jeu de Paume lequel, malgré son prestige, ne tombe pas dans la facilité des grandes expositions qui cherchent à se rendre obligatoires à coups de signatures imposantes.