Charles Bukowski nous adresse un message posthume

Comment aurais-je deviné qu’en 1977, l’année où j’achetai le premier livre paru en France de Charles Bukowski, que l’un des plus fameux écrivains américains se trouvait justement à Paris en partance pour l’Allemagne ? Le livre s’appelait «Mémoires d’un vieux dégueulasse» publié par les «Humanoïdes associés» dans la collection «Speed 17». Les notes de ce voyage en Allemagne viennent de sortir chez 13e Note Editions et bien évidemment, c’est toujours bon de lire du Bukowski.

A vrai dire dans «Shakespeare n’a jamais fait ça», il n’y a pas que du Bukowski. Il y a notamment la plume de Michael Montfort, le photographe qui a accompagné Bukoswki et sa femme Linda à Andernacht ville où l’écrivain a démarré dans la vie avant de partir pour l’Amérique. Et aussi le très intéressant témoignage de Joan Jobe Smith qui n’échangea qu’un baiser avec l’homme qui se proposait de la «baiser».

Quant il part en Allemagne sur le lieu de ses origines, Bukowski est proche de ses 60 ans. Comme certains de ses compatriotes dans différents domaines, il est plus connu en Europe qu’aux Etats-Unis. Le magazine français Rock & Folk fait état de son existence dans les années 70, sans doute sous la plume du journaliste Philippe Garnier. Et c’est ce même journaliste qui le traduit pour la première en français avant sa parution en 1977.

Personne n’a alors lu un style pareil. Bukowski, c’est du brut en provenance directe de sa fonderie personnelle. Ce qu’il raconte sur sa machine à écrire c’est des histoires de champs de courses, de boulots difficiles, de gueules de bois et du soleil jaune de Los Angeles, de sa sexualité difficile à satisfaire alors que les choses dans ce domaine s’amélioreront avec le succès, de son physique de «machine à laver», de ce que pensent les psychiatres et de ce qu’il pense des psychiatres. Bukowski écrit des récits, des nouvelles et des poèmes et en publie parfois dans une revue underground  : «Open City», qu’il baptisera par dérision « Open pussy » (voir commentaire).

En France la mayonnaise a rapidement pris, au point, c’est raconté dans «Shakespeare n’a jamais fait ça», que Bernard Pivot l’invitera dans sa fameuse émission littéraire, lors de son étape parisienne en direction de l’Allemagne. Aviné, Bukowski paiera en retour Pivot d’un petit scandale sur lequel on a beaucoup glosé sans que cela en vaille pour autant la peine.

«Shakespeare n’a jamais fait ça» pourrait être une porte d’entrée (ou de sortie) pour ceux qui n’ont jamais lu Bukowski. Pour ceux que cet aperçu ne découragera pas, un monde s’ouvrira avec des monuments comme «Women», «Les contes de la folie ordinaire» ou encore «Postier». Son écriture est très simple au point qu’il est faisable de le lire en version originale sans niveau d’anglais littéraire mais à l’exception des expressions argotiques. L’écriture traduite est simple mais le texte est pensé et malgré un suremploi du passé composé (j’ai fait, j’ai dit…) chaque volume représente une livraison substantielle de matière grise qui va d’un conseil aux courses à quelques digressions sur Dieu en passant par Mahler et les femmes.

«Tout ce que la plupart des gens demandent, c’est trois bons repas par jour et un peu de baise et, sur la plus grande partie de la planète, au cas par cas, ces désirs élémentaires ne sont pas satisfaits» peut-on lire dans ses notes de voyages. Il y a chez nous quelques grands écrivains qui passent leur temps à écrire des choses équivalentes de façon beaucoup plus compliquée, ce qui est bien aussi, mais c’est juste pour expliquer le style à part de Charles Bukowski lorsqu’il s’agit d’évoquer un fond que bien souvent, il a de son côté, touché.

PHB

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5 réponses à Charles Bukowski nous adresse un message posthume

  1. jmcedro dit :

    On a envie de se laisser convaincre, même si dans le genre « hard boiled » on a l’impression d’avoir mieux en anglais (Jim Harrison, Cormack McCarthy), comme en français (ne serait-ce que Céline) et si, pour nous parler des femmes aussi crûment, on n’a pas tellement fait plus poignant que Calaferte. Mais bon, s’il y a en plus des conseils hippiques et religieux, va pour Shakespeare…

  2. Sordide Sentimental dit :

    Shakespeare never did this, le livre que j’ai acheté lors de mon pèlerinage à Andernach il y a presque deux ans et demi ; un putain de souvenir…

    À noter qu’Open Pussy n’est pas un nom de revue réel mais un titre fictif tout droit sorti de l’imagination débridée de Bukowski. Il apparaît entre autres dans « The Birth, Life and Death of an underground newspaper », nouvelle dans laquelle il tourne en dérision l’univers de l’édition underground, notre écrivain ne faisant que déformer, avec cet humour teinté d’obscénité qui lui est propre, le nom d’une revue à laquelle il a longtemps collaboré : Open City.

  3. Merci pour cette précieuse précision cher lecteur. PHB

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