Eh oui, j’ai mordu dedans à pleines dents. Ses tentacules, coupées en fines lamelles, étaient à la fois fraîches (rien d’étonnant s’agissant d’une masse gorgée d’eau à 97 %) et croustillantes. Epoustouflant oxymore culinaire tout à l’honneur du cuisinier ! « Ma » méduse à moi était servie en salade avec du concombre. Ou du céleri en branche, j’ai oublié, mais qu’importe car la reine de ce plat typiquement pékinois, c’était « Elle ».
Pour tout dire, malgré l’amical acharnement, l’invitation pressante de mes commensaux à l’avaler, j’étais plutôt réticente. La biodiversité, ce n’est pas ce qui manque dans les salades asiatiques… Aussi louchais-je sur les compositions plus traditionnelles qui figuraient au menu… Des salades au crabe, au poulet, à la crevette. Ou même au poulpe, encore qu’à mes yeux il s’agisse d’un trop proche cousin. J’eusse préféré ne pas savoir au juste de quoi la fameuse salade était faite. J’eusse aimé déglutir en aveugle. Mais non, j’ai mâché les yeux grands ouverts et j’ose le dire, courageusement. Chassant de ma tête l’image récurrente de l’ombrelle translucide aux longs filaments ondulants. Oubliant cette gorgone décapitée aux cheveux de serpents magnifiquement sculptée par Camille Claudel. M’interdisant de songer, ne fut-ce qu’une seconde, à ces chairs blafardes et moribondes débordant d’un radeau disloqué. Vade retro, Géricault !
Est-ce par esprit de vengeance que j’ai en définitive mordu dans l’Urticante ? Même pas ! Je ne garde que de bons souvenirs du temps (lointain hélas) où je me bagarrais avec mes petits camarades de vacances à coup de méduses saisies à peine main sur une plage rocailleuse de l’Atlantique. Tricotés mains, mes chandails furent à jeter en dépit de nombreux lavages, au grand dam de leur tricoteuse. Mémoire de l’océan, leurs fibres de laine conservaient la trace malodorante tenace de ces projectiles peu ordinaires.
De quelconques représailles, d’obscure sanction, il n’était donc pas question. Comment en vouloir à un amas inconsistant dépourvu de cœur et de cerveau ? Même pas le QI d’une huître ! D’autant que je n’eus jamais à souffrir de la moindre piqûre d’un cnidocyste (je me suis renseignée) du fichu plancton. Et pourtant, combien de méduses – petites, moyennes et même grandes – sont venues traîtreusement effleurer mon ventre alors que j’évoluais tranquille entre deux eaux, fraîches il est vrai. A m’en croire immunisée contre leurs brûlures comme le sont les aquariophiles à force de donner la becquée à leurs précieuses anémones de mer.
A ce stade vous vous interrogez. Où donc a-t-elle bien pu se voir servir de la méduse ?
Dans un restaurant asiatique à la devanture falote situé rue de Bièvre et qui a pour enseigne « Au Pays du sourire » (pas de la grimace) et même du rire : celui du serveur est irrésistible. La légende raconte que Mitterrand y avait ses habitudes. Il y aurait même emmené Jiang Zemin selon les dires des serveurs qui étaient déjà en service à l’époque. Délaissant donc ses chers ortolans pour des spécialités du nord de la Chine… Je vous sens médusés. Moi aussi. J’ai mangé de la méduse !
On dirait une molaire dans l’azur
Là je l’avoue, ordinairement bavard de la plume comme de la cuillère, souvent gourmand des plats du monde, je reste coi.
Pourtant curieux, je dois confesser quelques baleines, phoques, macareux ou autruches. Un brin provocateur, je ne répugnerais point d’un chien ou d’un poussin encore dans son œuf, si mes pas me menaient en Chine. Mais là…
Passe encore des larves de papillons si c’était le prix d’un voyage en Australie quoique le kangourou m’attire davantage. Mais là…
Irai-je jusqu’à risquer ma vie à manger du poisson-lune dans un restaurant de Tokyo ? A moins que je ne sois contraint à manger une salade d’épinard dans la région de Fukushima.
Je me vois assis sur une plage, plongé dans un océan d’incertitudes. Ainsi donc, elle a mangé de la méduse !
Bon appétit Guillemette.
Je crois savoir que certains ont été moins téméraires?!!
Je vous embrasse tous les deux!
Pour parfaire mon amorce de renommée dans le Livre des records, j’ajoute que j’ai dégusté une cuisse de crapaud dans les Caraïbes… Croyant naïvement que c’était du lapin… En fait, on m’avait posé l’animal… ailleurs que dans mon assiette !
Je frémis à l’idée d’ingurgiter des épinards de Fukushima, Bruno.
Et par crainte de leur provenance, j’ai même banni les algues au profit (j’entends déjà les cris d’horreur !) de la bonne vieille Maïzena. Plus de makis, pour sûr !
Bien informée, chère Sophie…
Effectivement, certains ont leur rond de serviette au Pays du Sourire…
Et si on s’y donnait un prochain rendez-vous ? Je suis prête à y avaler le met recommandé les yeux fermés !