Trois jeunes handicapés physiques, amateurs de grands crus mais encore puceaux, décident de s’offrir un voyage sur la côte espagnole dans l’espoir de s’y déniaiser. L’un est tétraplégique, l’autre atteint d’une tumeur incurable se déplace en chaise roulante, le troisième est quasiment aveugle. Rien n’arrêtera ces amis dans leur loufoque entreprise épaulée par une robuste ambulancière au cœur gros comme un camion.
Dans ce road movie d’un genre particulier, c’est Philip, le plus handicapé des trois amis, qui mène le trio. Au propre comme au figuré. C’est dans le sillage de son engin motorisé qu’on les voit déambuler à la queue leu-leu. C’est lui qui organise et finance le voyage, se faisant à l’occasion tête à claques (on n’ose dire d’enfant gâté) avant de se reprendre voire de s’excuser quand il sait qu’il est allé trop loin. Vif et intelligent dans l’attitude comme dans le regard. Lars, bel ange aux cheveux bouclés auquel la tumeur laisse peu de répit, suscite à l’occasion la jalousie de son comparse et peut lui aussi se montrer agressif. Eruptions de colère mal maitrisée contre l’injustice de la maladie ou du handicap, qui pourrait les en blâmer ? Joseph le doux non-voyant bilingue au sourire confondant mêle avec obstination romantisme et obsession sexuelle. Car, ne l’oublions pas, derrière la dégustation de vignobles réputés, le voyage a pour but principal de fournir aux aventuriers leur premier rapport sexuel.
L’obnubilation érotique n’ôte aux trois cavaleurs ni leur gaieté ni leur sens de l’auto dérision. Leurs chants à tue tête, leurs moments de franche hilarité viennent à point nommé pour décompresser l’atmosphère quand l’intensité dramatique frôle l’insupportable. Car ce film sur un sujet grave n’est jamais pesant. L’amitié, la complicité, la connivence même en sont les ressorts principaux, transformant l’improbable voyage en équipée joyeuse, jamais grivoise. Dans l’assouvissement de leur libido – intacte – les trois amis cherchent à dépasser leur handicap, leur maladie, pour intégrer la communauté masculine en consacrant leur virilité. Ils veulent mourir en hommes. Ce n’est pas un hasard s’ils entonnent avec tant d’enthousiasme la chanson de Joe Dassin « Et si tu n’existais pas »… C’est bien d’eux dont il s’agit.
A poigne ou délicate, massive ou subtile selon le point de vue duquel on se place, Claude l’infirmière/conductrice n’est pas étrangère à la prévenante intimité de la virée.
Le film fait avantageusement appel à l’émotion plutôt qu’à la compassion. Il ne fait pourtant l’impasse ni sur l’appétit sexuel des handicapés, ni sur l’atteinte à la dignité pouvant résulter de la dépendance. Et la maladie qui rôde confère au dialogue le plus banal un ressort dramatique caché. «Je veux partir !», assène Lars à son père s’efforçant de le rapatrier. Un verbe lourd de signification.
Tourné en moins de six semaines par Geoffrey Enthoven, ce conte belge (plus exactement flamand) est servi par des acteurs crédibles à donner le frisson : Robrecht Vanden Thoren (Philip) et Gilles De Schryver (Lars) ne sont pas handicapés dans la vie mais habitués à fouler ensemble les planches de théâtre. Tom Audenaert (Joseph) est lui vraiment quasi-aveugle. Isabelle de Hertogh (Claude) a pris l’ambulance en marche avec talent puisque le rôle ne lui était pas destiné au départ. Tous quatre disent avoir vécu une belle aventure ensemble. Cela se voit à l’écran et on comprend que le film ait séduit Claude Lelouch au point de le produire en France.
Difficile de ne pas songer à « Intouchables », autre film sans grands moyens ni effets spéciaux consacré au handicap, et lui aussi porté par le jeu des acteurs. On pense aussi au film « Nationale 7″ auquel le script d’ »Hasta la Vista » emprunte à la fois la route et l’obsession de faire l’amour.
« Hasta la vista » (« au-revoir » en espagnol) a reçu le Prix du Public au dernier Festival International du Film de Comédie de l’Alpe d’Huez… des mains d’Omar Sy. Cocasse et mérité.
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