C’est un étrange objet, entre essai sous forme de bande dessinée, biographie, reportage. La bande dessinée est un de ces formats livresques qui est utilisé de manière de plus en plus variée ces dernières années. Le terrifiant récit de l’Holocauste, Maus de Art Spiegelmann, le montrait déjà. On a aussi vu la BD-reportage comme genre journalistique consacré, dans la revue XXI notamment (1).
David Bowie, est un des chanteurs les plus mythiques de ces dernières décennies. Il a fondé le glam rock sur les décombres du rock psychédélique et disparu des radars médiatiques depuis quelques années. Cette BD consacrée à ses débuts, alors qu’il vient de fêter ses 65 ans, permet de mieux connaître son histoire.
David Bowie, icône aux visages multiples – alias Ziggy Stardust, Aladdin Sane, Halloween Jack, Thin White Duke… – est ici ressuscité avec les traits d’un personnage de BD très hippie des années 60, sous la plume d’un néophyte nommé Néjib (allez jeter un œil à son blog). Un dessinateur nullement spécialiste en musique, ce qui apporte d’autant plus de fraîcheur à son récit.
Haddon Hall, c’est ce fastueux manoir où David, tout jeune, à peine aux portes du succès, s’installe avec sa femme Angie et une bande de potes hippies. Au fil des pages, on le voit composer, effleurer le succès (le 45 tours « Space Oddity » a été un tube), avec pour ambition de devenir une star mondiale et marquer son temps.
Case après case (et semaine après semaine) on voit défiler ses «apôtres de la pop», Tony Visconti, Mick Ronson, Syd Barrett…), dans le but d’enregistrer un disque grandiose. La machine créative est en marche, sous l’œil du Haddon Hall, un phalanstère dédié à la musique et doté d’une âme dans cette BD. On y voit aussi ses mentors, ceux qui vont l’influencer (magnifique planche représentant Iggy Pop à un festival qui chante «I wanna be your dog», « une véritable guerre du Vietnam sensorielle» pour le jeune David).
Cet album retrace les sessions d’enregistrement d’un des disques les plus flamboyants du pop glam, The Man Who Sold The World. Néjib arrive à représenter en images une époque, les prémices du Swinging London
Même si elle est omniprésente dans le graphisme des pages, entre fleurs et décors multicolores, la vague fleurie des hippies est en train de retomber, et s’apprête à céder le terrain au glam rock. Une nouvelle tendance que David Bowie incarnera. On voit donc se dérouler une comédie musicale, entre affres de la composition, de l’inspiration, et des rivalités (avec notamment Marc Bolan, futur leader du groupe T. Rex).
Mais l’auteur y égrène aussi des détails peu connus sur la vie personnelle de David Bowie, avec une pudeur qui affleure dans le dessin : la schizophrénie de son frère Terry (parfois représenté comme une simple ombre noire), le décès de son père (planches pudiques sans une seule bulle, les dessins expriment déjà tout), la naissance de son fils Duncan (maintenant cinéaste sous le nom de Duncan Jones, réalisateur notamment du remarquable film Moon)…
Car une des grandes forces de cet essai musical en BD tient dans les émotions que Néjib parvient à faire passer, dans un style graphique très sixties, psychédélique, entre couleurs vives et formes arrondies, influencé par Saul Steinberg, illustrateur notoire du New Yorker.
La fin de l’album ouvre sur le véritable début de la carrière de David Bowie. Choc esthétique, la sortie de Orange mécanique de Stanley Kubrick lui sert de révélateur. Il sera «une rock star destroy et futuriste». Dans les dernières planches, Ziggy Stardust et avec lui le glam rock, le dandysme, le strass et les paillettes, le style androgyne, sont nés.
Haddon Hall – Quand David inventa Bowie. Nejib, Gallimard, 144 pages, 19 €
(1) Voir mon blog sur le sujet.
Hey Capucine, il est drôlement bien ton premier article « Soirées de Paris »! c’est bien le premier ou j’ai raté quelquechose?.Je crois bien que je vais me procurer l’ouvrage..Bonne journée; ensoleillée ici à Grenoble.