Virginie Transon nous invite dans un monde de collages qui ne peut laisser indifférent. Un monde de couleurs qu’il est difficile de traduire en mots. Où Virginie puise-t-elle son inspiration, Burroughs, Warhol ? Peu importe, son univers est sien. Récemment, j’ai reçu une photo : une toile dédiée à la japonaise Yôko Ogawa, dont les romans nous entraînent inéluctablement dans une spirale d’où l’on ne s’évade pas. Comme les toiles de Virginie. Histoires de fascination ? Voire.
Cela fait quelques années que mes mots se jouent de ses couleurs.
Ils sont deux, lui et l’autre…Trois peut-être.
Lui : – Alors voilà toute l’histoire, comme je vous l’ai déjà racontée mille fois. Non, je ne sais pas pourquoi je suis là. Oui, il y avait une porte. Oui, je l’ai poussée et je suis rentré, comme ça.
L’autre : – Je ne comprends pas. Vous voyez une porte et aussitôt vous la poussez. Vous rentrez comme ça, dans un lieu que vous ne connaissez pas, sans vous poser de questions ?
– Je sais c’est difficile à comprendre. Ecoutez, je suis fatigué, pourriez-vous m’indiquer où se trouve la sortie ?
– De quelle sortie parlez-vous ?
– Et bien de la sortie… Euh, pour sortir !
– De la sortie pour sortir ? Je ne comprends pas. J’aimerais que vous me racontiez une fois encore votre histoire, si vous le voulez bien.
– Il n’y a rien à expliquer. Je n’ai rien de plus à vous dire que ce que j’ai déjà essayé de vous faire comprendre cent fois, mille fois, je ne sais plus.
A ce moment précis, une femme, belle, grande, rousse rentre. Elle salue l’autre personne qui interrompt son interrogatoire. Il l’embrasse puis lui murmure à son oreille :
– Un tailleur violet pour Kennedy, du Rimmel qui rime avec Chanel, une chevelure qui choucroute, une poitrine qui pyramide, des talons aiguilles qui tricotent les regards, un genou pour le fantasme et un jupon comme geôlier. Tu conjugues magnifique avec passé ? Où étais-tu?
– Je reviens des arènes de Ronda. J’ai fait une passe avec Manolete. Puis dans une auberge, j’ai rencontré Hemingway. Mais trois bouteilles de Manzanilla plus tard, je l’ai laissé. Il était trop tôt.
Désignant l’homme à la porte perdue, elle demanda à l’autre:
– Et lui, qui est-ce ?
Sans attendre la réponse, elle se dirigea vers un canapé en cuir blanc et s’y allongea.
L’autre tourna le dos à la femme pour reprendre son interrogatoire comme s’il n’avait jamais été interrompu.
– Continuez. Vous parliez d’une porte. Expliquez-moi.
– Il n’y a rien à expliquer. La porte s’est ouverte toute grande, on pouvait voir des fleurs partout, des roses et des violettes. Un tableau frémissant de couleurs.
– Et vous êtes rentré ?
– Dans ce tableau, oui bien sûr. Mais je voulais uniquement le regarder.
– Regarder le tableau ?
– Oui, mais quand je me suis retourné, la porte avait disparu.
– Disparu ?
– Je vous l’ai déjà racontée.
– Mais ici, il n’y a pas de fleurs ?
– Longtemps après, j’ai aperçu un homme qui m’a fait signe de le suivre. C’était vous et je me suis retrouvé ici, dans cette pièce.
La fille s’était assise. Elle était nue. Elle se leva brusquement et dit :
– Je dansais, je me retourne, Janis Joplin était rentrée. Un verre de Bourbon-LSD-Coca, hurla-t-elle de sa voix rauque. J’ai voulu aller l’embrasser.
L’autre s’était à nouveau retourné. Il s’adressa à la fille.
– Tu étais où ?
– Quand soudain un black me prit les hanches. Je ne comprenais rien. Je voulais danser, mes pieds dessinaient des arabesques sur le sol.
L’autre se retourna à nouveau vers son interlocuteur.
– Continuez.
– Vous le savez déjà. Il arrive que l’on rencontre des tableaux comme on rencontre un artiste. Ils nous parlent, on leur répond. Une histoire de couleurs, de formes ou d’atmosphère. Et bien voilà, je suis rentré dans ce tableau un peu par accident, mais j’y ai eu aussi du plaisir. Avant ce tableau, il y en a eu d’autres. Au tout début, il y avait les mauves sixties, les rouges kitch, les verts Wharhol. Mais les histoires sont faites pour être compliquées. Des fleurs, un corps de pantin, une tête de geisha deviennent l’arbitre des élégances. Un petit quelque chose de fascinant, une espèce de musée du temps présent, dont on n’arrive pas à s’en détacher, l’objet se marie au regard.
– Je ne comprends rien.
La fille continuait de raconter, elle aussi, son histoire. L’autre la regardait à nouveau, elle avait changé.
– Une fille avait jeté ses talons aiguilles dans un motel route 66.
– Mais où étais-tu, enfin?
– J’avais un fichu sur la tête, le téton bien visible et pourtant si sage. Une belle étrangère voulait me dire le futur de ses mains baladeuses. Et puis je ne sais plus. New York s’affolait. Elle s’est enfuie. Il ne restait plus dans l’air que les infimes trainées d’un parfum au patchouli.
– Continuez, n’écoutez pas la fille. Vous parliez de tableaux je crois.
Il sentait l’haleine de l’autre sur son visage. Il fallait lui répondre une nouvelle fois encore la même chose.
– D’amour aussi, dans un brouillard de couleurs. Mais les couleurs peuvent aussi être dangereuses. Surtout celles qui viennent du cœur mais arrivent ailleurs que dans le cœur des autres.
– C’est quoi l’amour ?
– C’est faire langue commune. Mais les langues parlent-elles, où font-elles du zapping ? C’est quoi
l’amour ? Un jeu de paintball, on tire, on tire et à la fin la couleur est toujours la même.
– Quelle couleur ?
– La nuit les calme. Les couleurs de révolte deviennent pastel comme le ciel. L’orange de la nuit pâle devient bleu. Le néon violet s’est éteint. Le ciel a avalé la lumière blanche que les tours lui ont jetée en peinture.
– Vous parliez d’un champ de fleurs roses ou violettes ?
– Le tableau s’est dérobé sous mes pieds, d’autres l’ont remplacé…
La fille se mit à embrasser longuement l’autre.
– Où étais tu ?
– Un avion au hasard m’emmena à Tokyo, des jeunes filles sans culotte s’ennuyaient. Elles se demandaient pourquoi elles étaient là. Je finissais la nuit carburant entre bière et saké. Il y avait une porte, parfois une femme rentrait. Je savais qu’elle ne sortirait pas. Je dévorais la lune et le poisson avec.
– Tu ét….
– Une paire de bottes en cuir, des talons qui aiguillonnent, des seins qui jouent à perce-tétons. Une musique métallique avec le noir pour orchestre. Les bottes que j’enlève, mes pieds glissent sur le marbre sombre, mes bras ondulent comme des serpents, mes mains tremblantes s’envolent dans le brouillard.
L’autre se mit à hurler.
– Tu étais où ? Dis le moi !
– Mais tu le sais bien, Je suis morte. C’était quand ?
Il se retourna vers l’homme.
– Où était la porte ?
– Je me suis réveillé dans un hôtel de passe Puerta del Sol, à Madrid. J’avais erré dans la nuit quand un mec venu de je ne sais où a surgi devant moi. Il voulait cinq euros ; sans doute beaucoup plus. Mon ange-gardien, un petit elfe noir me suivait au loin. Je ne sais pas ce qui s’est passé, elle a hurlé, le mec est parti. Elle m’a emmené manger une pizza, puis me prenant la main pour ne pas que je réveille les ombres de la nuit dormant en travers du trottoir, elle m’a conduit jusqu’à cette chambre. Puis elle est repartie. Je me suis endormi. Au petit matin, je la retrouvais là. Elle chantait sur sa voix qu’elle avait enregistrée sur son téléphone. Une douce mélodie africaine.
– Et le tableau ?
– Elle m’a ensuite raccompagné à mon hôtel, elle ne m’a lâché la main qu’une fois certaine de me voir rentrer dans le hall. Derrière la porte d’entrée, j’en découvrais une autre que je n’avais pas remarquée avant. Elle était entrouverte; Derrière, on pouvait voir des fleurs partout, des roses et des violettes…
Derrière, on pouvait voir des fleurs partout, des roses et des violettes…
Burroughs, Warhol, Transon,… Sillard, quels que soient les éclairagistes on se promène avec un grand grand plaisir dans cette exposition de tableau. Merci!
Ces collages invitent tout-à-fait à l’exploration de l’imaginaire !
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