Au fond des forêts de Sibérie, au fond de Sylvain Tesson

«Dans les forêts de Sibérie» de Sylvain Tesson (Gallimard). Il faut avoir un prénom prédestiné et être sacrément solide physiquement et psychiquement pour s’en aller de son plein gré vivre deux saisons d’affilée en Sibérie, entre taïga et lac Baïkal, dans un cabanon de neuf mètres carrés  à cinq heures de marche du plus proche  voisin… 

C’est ce qu’a fait l’écrivain-reporter Sylvain Tesson (fils du fondateur du Quotidien de Paris, Philippe Tesson) dont l’ouvrage, couronné par le prix Médicis essai 2011, livre le récit jour après jour, de son ermitage «entre parois et gouffre».

Objectif de cette retraite aux glaçons, se réconcilier avec le monde (et en premier lieu avec soi même), vivre intensément en allant jusqu’aux limites de la liberté et communier avec la nature. Admirer, écouter, apprendre, comprendre et respecter ce qu’elle offre de généreux, de sauvage et d’austère. «La beauté est le luxe de l’ermite», confie Sylvain Tesson. En amoureux du lac glacé, ce «vitrail d’albâtre dont les jointures seraient de plomb bleuté» et des taïgas qui le longent, l’écrivain décrit de somptueux paysages en constants changements dans une palette de tons digne d’Hokusai.  La maîtrise du temps fait partie intégrante du challenge alors qu’ont disparu tous les repères sociaux : l’ordinateur a explosé trois semaines après l’installation dans l’isba. Comme quoi la machine humaine est seule à résister aux morsures du froid boréal.

L’ermite est parti sans assistance technique moderne… mais pas sans compagnons de route !  Il a embarqué avec lui une soixantaine de livres éclectiques (poésie chinoise, roman, botanique, philosophie…) et de la vodka… en gros volumes ! Livres et solitude relèvent du «cocktail lytique parfait», analyse l’anachorète qui au fil des jours et selon son humeur en distille les bonnes feuilles pour notre plaisir.

Alors, comme on s’attache au moindre de ses pas sur la neige ou sur la glace, on chemine dans ses pensées et associations d’idées au fil des jours… Le voyage proposé est in autant qu’out. Omniprésente dans le récit, la vodka fait pour l’ermite office de «liquide amniotique nourricier dans cet utérus maternel» qu’est devenue sa cabane en bois. Dieu que l’expulsion dut être rude  après six mois de gestation ! Un rien misanthrope, l’esseulé se montre à l’occasion grognon lorsqu’il  est dérangé par des visiteurs.  Des  visites pourtant prétextes  au versement de nouvelles rasades… On est chez les Russes. Deux compagnons à quatre pattes viendront  aussi apporter leur tendre affection en cours de séjour polaire.  

Solitude, immensité, danger. Entouré de bêtes sauvages auxquelles il lui arrive de prêter des sentiments humains, de  volatiles et d’insectes dont il s’est fait fort de connaître l’appellation savante comme on se doit d’apprendre le nom de ses hôtes quand on  s’invite dans leurs bois, Sylvain Tesson nous fait changer d’optique, de territoire,  d’échelle.

Et de vie ! Pour survivre, le solitaire s’est fait marcheur quotidien pour couper son bois et  puiser son eau, adepte du  bivouac  pour explorer les montagnes environnantes, patineur sur glace, navigateur en kayak, pêcheur et  philosophe à toute heure. Il jette un regard dépourvu d’aménité mais non de dérision sur sa personne et sur le monde qui l’entoure. Il soliloque (à la plume !) sur l’intérêt de la décroissance économique, les vertus de la solitude chère à Rousseau,  la supériorité du tableau sur le cliché, du regard sur la photo… Les traits d’humour sont autant de traits d’union entre les idées. On ne s’ennuie jamais. On ressent le picotement du froid intense, on subit le déchaînement des éléments, on vibre quand  la masse d’eau du lac fait craquer le bois du cabanon avant de libérer sa force colossale avec la débâcle. On assiste au sacre du printemps. Le terme délivrance prend alors tout son sens.

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