La groupie de l’édile

« Les solidarités mystérieuses » de Pascal Quignard. L’ouvrage vous emmène en Bretagne du Nord, dans les hameaux avoisinant Dinard, les Saint-Briac, Saint-Lunaire, Saint-Jacut et autres Saint-Enogat… Pas très loin donc, mais avec une grande intensité. Il vous fait sillonner la lande aux genêts, escalader les rochers escarpés, marcher sur la grève, emprunter  inlassablement les escaliers qui relient Saint-Enogat au port de La Clarté accroché à sa falaise, donc invisible depuis le continent. 

Citant en exergue le Livre de Ruth («Où il ira j’irai, où il vivra je demeurerai, où il mourra je serai enterrée»), l’ouvrage raconte l’histoire douloureuse d’une femme amoureuse qui  passe sa vie à cheminer  et à scruter la houle et ses alentours pour y apercevoir Simon, son ancien amoureux devenu maire d’une des  localités concernées.

Les jambes nues griffées par les «cils brûlants des feuilles d’orties», elle le suit partout. «Les escaliers de La Clarté sont commodes pour guetter les silhouettes à quelque hauteur qu’elles soient, selon l’obscurité que projettent les murs, et à quelque hauteur qu’on se trouve, selon la lumière». Elle passe «des heures entières comme un rocher, aussi dense qu’un rocher de granit, à rêver ou plutôt regarder sa vie vivre au fond d’elle»…  Les Paimpolaises n’avaient certainement pas tout ce temps pour guetter depuis la falaise le retour de leurs marins partis en mer pêcher la morue !

Obsession amoureuse et toc de l’errance dans ce calvaire breton rétréci amènent peu à peu l’héroïne aux confins de la démence…

C’est donc une intrigue a minima narrée du point de vue de l’amoureuse,  Claire, et de celui de ses proches, dont son jeune frère Paul  avec lequel se sont nouées des «solidarités mystérieuses».

Il faut se laisser emporter par l’ambiance de ce huis clos armoricain fait d’impatiences, d’angoisses et de souffrances mêlées  («tant qu’il vécut, elle souffrit»). L’écriture adoptée, alternant phrases longues et très courtes, fait partager au lecteur la beauté sauvage du décor mille fois emprunté, enserrant  la nasse dans laquelle il se trouve plongé. Pur exercice de style littéraire !  

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