Tchekhov avait annoncé la couleur. La Mouette était une pièce écrite à contresens d’une bonne dramaturgie, elle commençait vite et terminait lentement. L’auteur russe justifiait plus globalement ses ruptures de rythme en expliquant que la vie était ainsi, qu’elle n’était pas intense tout le temps.
Dans cette Mouette jouée jusqu’au 10 décembre au Théâtre Studio à Alfortville deux scènes illustrent ce double propos accentué par le travail du metteur en scène Christian Benedetti. La fin comporte une séquence où Treplev, interprété par Xavier Legrand, déchire méthodiquement un manuscrit. Il le fait petit paquet par petit paquet et le silence de la salle n’est plus troublé que par le bruit du papier déchiré. Et c’est long. Comme les temps morts de la vie. Plus en avant, le personnage de Trigorine (magistralement joué par Christian de Benedetti) se voit notamment administrer une fellation par une Arkadina déchaînée. C’est fort et rapide comme les accélérations de la vie.
Cette reprise de La Mouette a été l’objet d’un tombereau de critiques positives lors de sa précédente représentation. Les éloges ont plu en giboulées et l’affiche qui en fait actuellement la réclame ne se prive pas de le rappeler. La facture de la pièce est inégale mais comme c’est un trait d’auteur prémédité depuis les origines, on ne peut s’en plaindre à moins de ne pas être prévenu. Dans un décor sobre à l’extrême, les acteurs en tenue de ville, réussissent cet exercice complexe en épousant chaque seconde de ce tempo fractionné.
Dans l’ensemble, Christian Benedetti et Brigitte Barilley (une Arkadina drôle, sensible, lumineuse, complice) imposent leur talent sans rencontrer de résistance. A eux deux (avec Philippe Crubézy sans doute) ils portent la pièce autant qu’ils justifient le déplacement pas forcément évident à Alfortville.
Amateurs de théâtre ne passez donc pas votre chemin même s’il requiert un GPS pour s’y retrouver passé le périphérique. Christian de Benedetti l’a dit (cette fois sans temps mort) à la fin du spectacle, le Théâtre Studio d’Alfortville serait en sursis et pourrait être relégué en salle de répétition. Là ce serait dommage tellement ce genre d’endroit et singulièrement celui-là sont si bien faits pour réchauffer les banlieues avec de la culture en vrai. Une raison supplémentaire d’aller voir ou revoir La Mouette.