Avec « Toutes nos envies », le réalisateur Philippe Lioret livre l’histoire d’une double lutte, l’une juridique, l’autre contre la maladie. L’une sera gagnée, l’autre pas, on ne vous dira pas laquelle.
Jeune juge au tribunal d’instance, Claire (Marie Gillain) se bat contre les sociétés de crédit à la consommation qui ont peu à peu asphyxié Céline en l’incitant à emprunter sans avoir les moyens de rembourser. Claire fait la connaissance de Stéphane (Vincent Lindon), un magistrat plus âgé qu’elle qui s’emploie d’abord à lui ôter ses illusions avant de se rallier à sa cause, décidant de combattre à ses côtés le surendettement en partie dû aux méthodes abusives des organismes de crédits. Claire a dans l’intervalle appris qu’elle était atteinte d’une redoutable maladie qu’elle entend cacher à son entourage. Vont se nouer entre eux des relations faites d’estime et d’amitié…
L’histoire sentimentale semble n’être là que pour faire passer la pilule juridique, il est vrai plutôt aride. Tiré du long développement qu’Emmanuel Carrère consacre au surendettement dans son livre « D’autres vies que la mienne », il est en effet question de forclusion (2 ans après la signature d’un contrat de crédit le débiteur ne peut plus agir), d’appel, de cassation et même de question préjudicielle devant la Cour européenne de Justice (CJCE), ce juge supranational qu’on interroge pour obtenir un éclaircissement sur un point obscur de la loi française. Les juristes un peu avertis suivent, les autres n’ont nul besoin de tout comprendre pour saisir l’urgence de l’enjeu désormais mené de concert : trouver la faille pour venir au secours des surendettés et obtenir de la Justice qu’elle mette fin aux contrats de crédit à la limite de la publicité mensongère : le terme «crédit gratuit» figure en gros au recto, le taux d’intérêt réel apparaît en en tout petit au verso.
Philippe Lioret aime à traiter des sujets contemporains à connotation sociale. Très bien ficelé, son film est servi par des acteurs dont le jeu sonne toujours juste. Interprète fétiche du réalisateur depuis « Welcome », Vincent Lindon fait passer les émotions à travers son seul regard. Et sa démarche – épaules en avant – de fonceur (il est dans le film entraîneur de rugby) lui confère l’allure du combattant. L’acteur, au demeurant, n’a pu qu’être à l’aise dans ce scénario très technique : il porte un patronyme bien connu dans le milieu juridique ! Marie Gillain est crédible en juriste entrée dans le métier avec enthousiasme, mais anéantie d’en découvrir les limites. Elle est émouvante et jamais larmoyante dans son rapport à la maladie. Les seules larmes qu’elle verse concernent l’injustice des décisions judiciaires en France. On juge en droit, pas en équité. Ces deux premiers rôles sont remarquables dans cette très belle scène où le juge chevronné, avec classe et humanité, laisse croire à sa jeune collègue qu’elle vient de trouver elle-même l’astuce juridique susceptible de faire aboutir le dossier. A côté de ces pointures, les seconds rôles savent être mesurés, Amandine Dewasmes dans le rôle de Céline la mère célibataire surendettée, et Yannick Renier dans celui de Christophe, le mari de Claire.
Si le film souffre en son milieu d’un léger ralentissement (la scène du bain, inévitable mais quelque peu téléphonée), son réalisateur parvient néanmoins à en maintenir jusqu’au bout l’intérêt et l’intensité dramatique.