De la douane à l’octroi

Dans nos provinces, il en va des bureaux de douane comme des succursales de la Banque de France. Ces bâtiments sont la marque d’une activité presque révolue. On peut désormais revenir de Belgique avec le coffre empli de tablettes de chocolat et l’air serein de celui qui médite une bonne crise de foie une fois de retour à Paris. C’est une liberté bonne à prendre et nous la devons à ce qu’il est convenu d’appeler le Vieux Continent. Autrefois il fallait patienter à la douane et amadouer le gabelou avec un sourire de faux jeton. La remarque « ouvrez le coffre » signait l’échec de la manœuvre. Aujourd’hui encore les habitants des Hauts de France vont acheter leurs cigarettes en Belgique sans que cela gêne personne et les Belges franchissent la frontière en sens inverse pour acheter d’autres trucs et tout le monde est content. Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu (1689-1755), l’homme qui orna en 1981 les billets de 200 francs, réputé pour ses multiples talents et son fin esprit, avait aussi rédigé un livre de théorie politique où il était notamment mentionné: « Là où il y a du commerce, il y a des douanes ». Et précisait ensuite qu’il était normal que l’État prenne sa part.

On aura remarqué qu’il est beaucoup question de douanes en ce moment depuis que le nouveau colocataire de la Maison Blanche a remarqué que le droit afférent, constituait une remarquable pompe à fric, pleine de potentiel. Il s’en est ensuivi une bataille de polochons mondiale. Mais quand même, le « customs officer «  fait son retour, avec l’autorisation de frapper fort, sauf soumission.

L’histoire est longue. Le mot douane viendrait de l’arabo-persan diwan. Cela signifierait aussi lieu de pouvoir ou culturel, selon l’état du mot une fois dévoyé par le temps et la géographie. Il faut quitter l’Europe pour en retrouver tout le sel, au hasard de l’autre côté de l’Atlantique, encore chez l’oncle Sam, où la rudesse du gabelou yankee est devenue légendaire. Gare à ceux qui trimballeraient leur mode de vie multiculturel en étendard au-dessus de leur sac-à-dos ou sur la timeline des réseaux sociaux. Il est dit qu’en ce moment, il ne vaut mieux pas jouer à l’esprit supérieur avant de pénétrer au pays de Donald et de Mickey.

Bien que la direction des douanes existe toujours, car la vie continue par ailleurs, certains nos bureaux dédiés prennent donc la poussière dans le club de Maastricht, de même que les encore plus vieillottes barrières de l’octroi et leur bâtiment attenant. L’octroi était une taxe sur les marchandises à l’entrée de certaines villes françaises. Émile Zola évoquait ces lieux dans son livre « Le ventre de Paris », mais le mot a quitté la littérature pour entrer dans l’Histoire. Le terme a pris sa retraite après environ cinq siècles d’usage, cela lui en fait des trimestres pour profiter de ses vieux jours.

Passant de la douane à l’octroi, il est temps pour conclure  d’évoquer le Douanier Rousseau de son vrai nom Henri Rousseau (1844-1910), mais que l’on surnommait ainsi parce qu’il avait été fonctionnaire à l’octroi comme commis de deuxième classe. Dans son numéro 20 du 15 janvier 1913, Les Soirées de Paris avaient consacré tout un numéro à cet homme devenu artiste, bon camarade et amoureux bafoué. Apollinaire dont il avait fait le portrait en compagnie de sa muse, avait pris sa plume pour raconter comment le Douanier croyait aux fantômes. Il les croisait souvent. Et justement lorsqu’il était « en faction » à l’octroi, il lui arrivait d’être importuné par un revenant, à tel point qu’il essaya de l’abattre avec un fusil. Dans ce numéro spécial des Soirées, via une fine mise en abyme, étaient publiées plusieurs invitations aux soirées de Rousseau lui-même, au 2 rue Perrel dans le 14e arrondissement, au cours desquelles il pouvait jouer du violon ou déclamer quelque poème à sa façon. Dans un poème écrit après sa mort, Apollinaire lui laissait entendre que ses amis le rejoindraient un jour, avec cette prière douanière: « Laisse passer nos bagages en franchise à la porte du ciel. »

C’était une bonne âme et on ne saurait faire l’économie de relire à son propos, un texte tout à fait épatant que publia un jour de 2013, le confrère Gérard Goutierre. De quoi s’aérer les pensées pour mieux se contrebalancer des droits de douane.

PHB

« Gentil Rousseau je te salue », par Gérard Goutierre
Photo: ©PHB
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Une réponse à De la douane à l’octroi

  1. Gilles Bridier dit :

    Renvoyer à un numéro des Soirées de Paris remontant à 112 ans, peu de gazettes pourraient en faire autant! Respect sincère!

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