Ce n’est jamais sans une certaine émotion qu’il nous est donné de tenir dans notre main un objet ayant appartenu à quelqu’un voici quelques milliers d’années. Celui-là n’échappe pas à la règle. Au croisement de plusieurs sources, il s’agirait d’un bijou en pierre, pendeloque ou pendentif remontant au néolithique. Il aurait été glané quelque part dans le Limousin. Les traces d’une ligature sont encore bien là. Elle devait être de nature biologique, car elle a disparu. Il faut faire un bel effort mental afin de se figurer un humain, au seuil de son abri, de sa grotte, taillant patiemment l’objet et limant la partie haute du triangle obtenu pour faire de la place au lien. Était-ce destiné à un usage personnel, s’agissait-il de plaire ou de combler l’attente de quelqu’un? La pierre a conservé tout son mystère. À l’heure où s’ouvre au Petit Palais, une remarquable exposition sur les esquisses ayant préludé à la réalisation d’un bijou, il pouvait être tentant de remonter à la source.
L’homme au sens neutre, n’a jamais renoncé à la parure. L’humanité a pu abandonner certaines activités comme de boire du calva dans le crâne de ses ennemis ou de les brûler avec de l’huile de poix, en revanche, le port de l’aigrette, de la breloque, de la broche, du diadème, de la jeannette, du médaillon, de la bague ou de la gourmette, n’est pas vraiment tombé en désuétude. Certes on ne garnit plus les sceptres ou les couronnes d’émeraudes qu’à l’occasion, mais l’idée de cette chose inutile qui va se balancer à l’oreille ou tinter sur trois rangs d’affilée autour d’une gorge, n’a jamais été abandonnée. C’est toute une parade, toute une signalétique prête à être utilisée en surface ou dans les tiroirs de la coiffeuse. « Des bijoux posés sur la toilette, bracelets, colliers, pendants d’oreilles, lançaient de folles bluettes et de brusques scintillements d’or », écrivait ainsi Théophile Gautier dans « Le capitaine Fracasse ».
Les bijoux font arsenaux, une munition pour chaque situation. Pourquoi ce rubis alors qu’hier on avait choisi un diamant, pourquoi cette nacre, pourquoi cet or jaune, rose ou blanc? C’est l’inconscient qui parle, voire la libido. Différentes possibilités étymologiques ont été avancées. Les hommes et les femmes se sont, en tout cas, rarement justifiés sur ce sujet précis. Dans le Coran, nous informe le Robert culturel, le sexe de la femme est désigné par le terme « bijou ». Ce n’est pas pour rien non plus qu’avec ce mot, Diderot en avait fait le titre d’un fameux roman libertin.
Apollinaire en polissait dans le métal des douilles d’obus. Car parmi tous les articles possibles, la bague exprime en effet, une adresse amoureuse. Elle se vend mieux que le collier. Les cyniques en font des cadeaux de rupture. Les machiavéliques en portent des spéciales, porteuses d’un poison que l’on peut verser discrètement dans le verre de l’amant ou de l’amante, devenus encombrants. Ce bijou exclusivement digital est la marque d’une appartenance, y compris par-delà le deuil. On retrouve les bijoux du néolithique dans des sépultures et cette attitude se maintient, sauf avis contraire du défunt. Faute d’instructions précises, les hôpitaux ôtent l’alliance des personnes décédées afin de les remettre aux familles. On n’en ferait pas autant d’une paire de chaussettes.
C’est tout de même étonnant de constater, à l’occasion de cette exposition recommandable au Petit Palais, à quel point l’activité de bijouterie n’a jamais failli. Il y a eu quelqu’un un jour pour accrocher à son cou une dent de lapin, une corne d’auroch limée, déclenchant ainsi toute une concurrence, tout un artisanat, toute une industrie.
Sans aller dans les magasins les plus chers où tout se compte en carats (à l’origine une graine de caroube de 0,20 gramme), il n’est que de se promener sur les étals des marchés pour tomber sur l’inévitable vendeur de bijoux fantaisie, à base de métal non noble, de verre ou de plastique. « C’est du toc » nous entendrons-nous dire alors, pourvu que nous en ayons acheté l’équivalent d’un sachet plein. Oui mais ce sont des bijoux au sens plein du terme et s’ils appartiennent au monde de la fantaisie, c’est à dire à tout ce qui est à la fois variable, inutile et gai, eh bien il faut s’en réjouir. Il faut voir comment Baudelaire en parait sa Lola de Valence, en rose et en noir, sans se soucier outre mesure de la matière, forcément précieuse.
PHB
Peut-être que nos ancêtres se trouvaient déjà moches et sentaient le besoin de s’arranger un peu. Il faudra de plus en plus de bijoux pour masquer la laideur des humains…