Le partisan

Ce serait le moment de découvrir ou redécouvrir Leonard Cohen à travers une archive INA qui nous tend les bras sur le Net. On y voit son visage en gros plan, uniquement son beau visage face au micro, en noir et blanc, lors d’une captation live de la chanson « The Partisan ». Morceau figurant dans son deuxième album studio « Songs from a Room », enregistré en 1969 à Nashville, Tennessee, capitale de la musique country.
Né le 21 septembre 1934 à Westmount, Québec, dans une famille juive d’origine russo-polonaise, le chanteur a trente-cinq ans lorsqu’il enregistre ce second album Columbia. À peine deux ans plus tôt, « Songs of Leonard Cohen », contenant une première version de « Suzanne », a reçu un bel accueil, une sorte de triomphe même, pour cet artiste canadien, à la fois poète, romancier, auteur compositeur interprète, et peintre. Ce second album est plus sombre, et on pourrait s’étonner, vu sa tonalité, que l’auteur ait voulu l’enregistrer dans la capitale de la country music. Certes « Bird on a wire » sera repris par quantité de country boys dont Johnny Cash, Willie Nelson ou Joe Cocker. Mais d’autres chansons comme « Story of Isaac » ou « The Partisan » relèvent d’une autre inspiration, la première se référant naturellement à ses origines juives.

Quant à la chanson « The partisan », c’est toute une histoire. Elle remonte à la deuxième guerre mondiale, qu’on pourrait croire bien éloignée d’un artiste américano-canadien et de son public des années 1960. Le disque n’est-il pas sorti juste après Mai 68 ? Qui, aux States, dans la jeunesse, se souciait encore de World War II ? En pleine guerre et contestation de la guerre du Vietnam ? En France et en Europe, c’était plutôt « Le Chant des partisans » qui avait laissé des traces… Anna Marly, ancienne émigrée russe, en avait composé la musique en 1941 à Londres sur un texte russe. La mélodie sifflée devient alors le symbole de la Résistance française, et le 30 mai 43, dit-on, Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon écrivent des paroles françaises, toujours depuis Londres. Or à la même époque, Anna Marly, toujours elle et toujours à Londres, compose la musique de « La complainte du partisan », sur des paroles signées Emmanuel d’Astier de la Vigerie, unificateur des mouvements de la Résistance Sud, futur compagnon de la Libération. Que de résistants poètes et musiciens…

Sur le Net, on affirme que cette chanson serait devenue populaire dans les années 50, ce dont il est permis de douter, mais que sa renommée internationale remonte bien à Leonard Cohen. Le mystère demeure entier de savoir comment le multi artiste s’est emparé de ce vieux tube pas du tout country, attaquant le morceau par quatre (sur 5) des couplets transposés en anglais à sa façon. La guitare entame son riff, mais surprise, « Les Allemands étaient chez moi » sont remplacés par « When they pulled across the border » (Quand ils ont franchi la frontière), et même changement au troisième paragraphe, les Allemands sont devenus « the soldiers ». Ce qu’on peut comprendre dans le contexte historique d’alors, et afin d’atteindre une portée plus universelle.

Seconde surprise, le bluesman enchaîne sur la complainte en français en rétablissant le texte original (les Allemands donc), sauf le dernier paragraphe. Modification plus que révélatrice, il se refuse à chanter les deux derniers vers « On nous oubliera/Nous rentrerons dans l’ombre », et fera de même lors de la reprise en anglais, choisissant d’insister sur « La liberté reviendra » (Freedom soon will come ).

Tout du long, la caméra mange le visage, la voix se fait enveloppante, lancinante, sa voix si connue qui nous ramène à jamais aux temps d’autrefois.

Lise Bloch-Morhange

L’Archive INA

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5 réponses à Le partisan

  1. Jean STEICHEN dit :

    Né en 1948, je me souviens d’avoir entenu La complainte du partisan bien avant la belle reprise par Leonard Cohen. Mais je ne sais plus quel en était l’interprète. Mouloudji, peut-être.
    Je suis bien d’accord : « c’est tout une histoire » (sans accord de préférence, « tout » étant ici un adverbe).
    Bien cordialement

    • Monsieur,
      Votre commentaire m’a interpellé. Dans le cas que vous mentionnez, « tout » n’a pas une fonction adverbiale (il précède un substantif). Il est adjectif indéfini et s’accorde avec histoire.Les deux correcteurs utilisés par Les Soirées de Paris mentionnent le contraire comme une faute à corriger. Cela étant dit, si le consensus penche vers l’accord, il n’est pas absolu. Cordialement. PHB

      PS: A nos lecteurs, dans la mesure du possible, concernant les remarques de forme, de nature orthographique ou autre, merci de m’écrire directement PHB

  2. Isa Mercure dit :

    Toujours intetessant de voir comment un interprète s’approprie une chanson au point d’en modifier le texte pour lui donner un sens plus large. Qui va s’y coller pour modifier La Marseillaise !?

  3. jerome duprat dit :

    Magnifique

  4. catherine Chini Germain dit :

    Je continue à écouter Leonard Cohen souvent. Je suis ravie d’en savoir plus et de connaître ses engagements.
    Merci Lise
    Catherine

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