Ces missives que nous timbrâmes

Un publicitaire est une personne à l’affut. Il guette les évolutions de son époque. Et s’il est très fort, il les anticipe. Le musée de la Poste à Paris a eu la bonne idée de créer une exposition sur ce moment de déclic  où l’ampoule s’allumait dans le cerveau de l’homme de l’art. Et le moment précis où pour des raisons pratiques, la Poste mit au point le carnet de timbres et où encore, presque concomitamment, les acteurs de l’ombre, voyant la vierge couverture du carnet, se dirent « oh la belle place à prendre ». Cela commença avec des pubs pour les automobiles, des soies, des médicaments. L’initiative fit florès jusqu’aux années 90 et s’épuisa lentement, vaincue par les courriers électroniques. Toutes ces missives que l’humanité timbra, reflétèrent par carnets interposés, les progrès et les plaisirs. C’est pourquoi les gens forcément élégants de chez Schweppes, enhardis par le jaune du carnet qui allait de pair avec le jaune de leur capsule, purent imprimer (voire ci-contre) ce slogan fort spirituel: « Affranchit aussi de la soif. »

Le courrier-papier que nous adressions et réceptionnions naguère, est désormais entré dans de très basses eaux et l’on peut s’interroger soit sur sa disparition pure et simple soit sur une forme de résurrection « vintage », un peu comme celle des disques vinyles ressurgis d’entre les morts. Le timbre, y compris fiscal, est entré dans le champ de la dématérialisation et sera bientôt aux portes du monde quantique.

C’est donc tout l’intérêt de cette exposition, organisée par le musée de la Poste jusqu’au 13 octobre, que de nous redonner l’appétit du matériel, du tangible, du palpable, du perceptible.

Et d’admirer ces premiers carnets où les soins apportés au visuel tenaient de l’ornement d’un camée, tellement la surface  disponible était comptée. L’annonceur pouvait garnir le verso et le recto du support en carton avec des mentions dans les coins. L’effet est intimiste. Si petit qu’il soit il nous éponge le regard par sa grâce surannée. Nous regardons ces minuscules publicités avec les délices comparables que l’on obtient avec une œuvre d’art. Tout en découvrant des marques totalement disparues comme les automobiles Vinot-Deguingand. Ces « carnets de timbres dans l’air du temps », ainsi que cette exposition est intitulée, nous ramènent aussi au temps des grands magasins comme la Belle Jardinière ou le Bon Marché. Malignes, toutes ces enseignes, faisaient leur réclame sur les carnets de timbres avec une astuce supplémentaire. Car les timbres en question, outre le fait d’affranchir une lettre, permettaient également de régler des achats au sein même de l’établissement-éditeur.

Du timbre, hormis celui de la voix, les temps modernes en sont avares, alors même qu’ils avaient représenté la modernité. On peut encore sortir du tiroir le stylo-plume, l’enveloppe et la feuille, mais pour l’affranchissement, sauf quelques opérations spéciales, nous en sommes réduits à des Marianne vert-pomme, vendues par dix et sans carton pour les revêtir. Elles sont devenues auto-adhésives, nous ne pouvons même plus les humecter de la langue et ce petit goût de colle en retour qui ajoutait à la matérialité de l’expédition. Surtout si l’on se laissait aller à dessiner quelque chose sur l’enveloppe comme le firent maints artistes.

L’exposition, fort discrète, n’occupe même pas la totalité de l’espace au deuxième étage du musée. Ce qui n’est pas étonnant vu que la surface d’un timbre se calcule en millimètres. La scénographie comporte néanmoins des interventions d’artistes, notamment des auteurs de bande dessinée comme Jacques Tardi (1946-) ou Claire Bretécher (1940-2020). Leurs propositions occupant bien plus de place avant d’être miniaturisées pour les besoins de la cause, notre œil en profite pour se reposer sur une aire élargie, davantage conforme aux formats pratiqués dans les expositions. Parmi les auteurs de bande dessinée figure la maquette d’un timbre signée Jean-Claude Mezières (1938-2022), édité à la fin des années quatre-vingt et montrant le cosmonaute Valérian tenant une lettre dûment affranchie, sur fond de transit spatial. Le genre de choses qui réjouissent à peu de frais les collectionneurs.

En 2012, le musée avait eu la bonne intuition de concevoir une exposition autour d’Albert Gleizes (1881/1953) et Jean Metzinger (1883/1956), peintres et amis d’Apollinaire. On pouvait en repartir avec un petit carnet comportant des timbres représentant des peintures réduites à presque rien. C’est désormais la vie du carnet, vouée au clin d’œil historique ou culturel, plaisante mais anecdotique.

PHB

« Carnets de timbres dans l’air du temps », Musée de la Poste, 31 bd de Vaugirard 75015 Paris. Jusqu’au 13 octobre 2025
Photos: ©PHB
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2 réponses à Ces missives que nous timbrâmes

  1. UN camée !
    Une camée c’est tout autre !

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