Contrairement aux points de suspension chargés de sous-entendus, le point d’exclamation donne au mot qui le précède, l’effet d’une déflagration. Dans les messages courts, dans les e.mails, il est partout. Pour donner de la force à l’amour, apporter de l’énergie à l’indignation, amplifier le triomphe ou l’insulte, il n’a pas son pareil. Sans lui tout paraît fade, il est l’épice de l’écriture. Un « bon anniversaire » ou un « je t’aime », sans cette ponctuation gonflée au kérosène, et tout devient terne. Suivi de ce signe, un « je te quitte » en arriverait presque à être gai, au point qu’il est parfois suivi d’un « bon vent! » sur le même ton et pour solde de tout compte. Cela devient problématique de s’exprimer sans lui, sauf à passer pour le cousin d’un croque-mort au teint olivâtre. D’ailleurs dans ce domaine et c’est pour dire, il reste recommandé de ne pas utiliser le point d’exclamation après le mot condoléances. L’effet serait fâcheux. Il peut convenir en revanche pour le « repose en paix », dans la mesure où il s’agit alors d’un cri destiné à porter loin en hauteur, afin d’accompagner l’âme chérie qui s’élève. Le point d’exclamation relève donc de l’écriture vitaminée. Mais sur-utilisé, notons qu’il a tendance à devenir contre-productif, à atténuer ce qu’il est censé mettre en valeur.
Ce qui devient préoccupant en revanche, selon plusieurs articles parus dans la presse au mois de février, c’est l’abandon des majuscules, notamment par les « zoomers » issus de la génération dite « z », apparue dans le mitan des années 90. Le quotidien britannique The Guardian, indiquait qu’ils avaient ainsi tendance à désactiver la majuscule en début de phrase, lors d’envois de SMS. Qu’elle pouvait cependant être utilisée en plein milieu du texte, sur toute la longueur des mots, afin d’attirer l’attention du destinataire sur un point important. C’est un peu la même fonction que le point d’exclamation. En capitales, le « je te quitte » vise à bien se faire entendre, de même on l’a vu, que le « bon vent » de rigueur.
Si l’on va un peu plus loin que les échanges de textos, il est possible de constater que le phénomène s’est étendu à d’autres usages. Sur les enseignes de magasin par exemple, il n’est pas rare de lire quelque chose comme « audio pour tous » sans majuscule alors qu’il s’agit d’une marque. On peut s’interroger sur la nature de ce relâchement dès lors que les digues sautent les unes après les autres. On commence par dénaturer l’écriture jusqu’à ne plus en avoir besoin. Là est le danger. Et au-dessus de cette devanture pour appareils auditifs vue à Paris, il n’y aura bientôt qu’une image d’oreille. Ce sera alors l’indication de la grande marche arrière et le signal pour se hâter d’aller réserver sa place dans une grotte et rédiger dans le même temps, une candidature spontanée pour un poste de chasseur-cueilleur adjoint, voire délégué. Les Anglais dont nous vient peut-être l’abandon de la majuscule, auront d’ailleurs tôt fait de raccourcir en sigle, le titre des chasseurs-cueilleurs, soit CHG pour Chief hunter-gatherer.
Cela dit, avec la liberté qui les caractérise, les poètes étaient passés par là. Mais justement, ils étaient poètes et pouvaient se le permettre. Dans ses calligrammes, Guillaume Apollinaire a ainsi joué avec les caractères, les corps, le gras et le maigre, rendant nerveux les typographes. « Un tendre été si pâle » était écrit en capitales sur une page, laquelle ne s’embarrassait pas d’alignement. La poésie pouvant être un langage parfaitement spatial, c’était d’ailleurs le but des calligrammes, il n’y avait et il n’y a toujours rien à y redire.
Les textos de leur côté viennent rafraîchir, c’est leur côté positif, l’interaction entre humains. Les émojis et autre smileys, disponibles par centaines au lieu des 26 lettres de l’alphabet, sont là pour signifier au choix l’éclat de rire, la colère ou l’étonnement. Cependant, remplaçant l’interjection, ils sont moins adaptés pour exprimer quelque chose de subtil, c’est là que le bât blesse. Pour le raffiné et le spirituel, il faut en revenir à l’écriture traditionnelle avec un usage raisonné des majuscules et des points d’exclamation. Mais l’avez-vous remarqué, l’époque a tendance à se débarrasser du langage raffiné, largué comme un vieux chien au bord de l’autoroute, afin de ne pas gâcher les vacances.
PHB
Illustration: ©PHB
Merci de continuer à introduire un peu de subtilité légère et souriante pour commencer la journée
…et BRAVO!!!
On ne peut que repenser au savantissime et jubilatoirissime Traité de la Ponctuation de Jacques Drillon.
Bien cordialement