Renée Hamon, le nom effacé d’un petit corsaire

La probabilité pour que deux personnes aient en même temps l’idée de rendre visite à Renée Hamon, là où elle est inhumée, est bien faible. Sauf miracle que l’on espère toujours un peu, instinctivement, la visite est solitaire. On distingue encore les deux noms de famille, sur la pierre couverte de lichens, située dans le quartier « C » du cimetière Saint-Gildas à Auray (56). Gontier, c’est là son origine limousine par sa mère. Et Hamon, son patronyme de naissance, qu’elle doit naturellement à son père breton. Cette grande amie de Colette (1873-1954) est née en 1897 à Vitré (35) et elle est décédée d’un cancer en 1943 à Vannes, avant d’être inhumée à Auray. Renée Hamon vouvoyait son aînée qui la tutoyait en retour, mais l’attachement était grand. Elle l’appelait son « Petit corsaire » car Renée était une aventurière, laquelle partit un jour en bateau, croiser dans les eaux tièdes du Pacifique. Dix ans après la mort de Colette, un livre fut publié à son sujet, intitulé « Lettres au petit corsaire ». Une centaine de lettres qui révélaient une affection mutuelle évidente. Sans compter l’admiration sans bornes que lui vouait sa destinataire.

Colette était venue un jour à Auray visiter son amie. Elle s’était logée à l’hôtel de la Tour d’Auvergne, haut lieu de la Résistance locale, incendié à la fin de la guerre. Elle y avait réclamé un bac à sable car, elle était venue avec son chat. Dans ses premières impressions, l’Alréenne (habitante d’Auray), avait jugé sa célèbre correspondante parisienne comme quelqu’un d’à la fois « virile et féminine » parfois « chatte », « tantôt furet ou biche ». Colette revendiqua un jour cette « virilité d’homme » qui incitait son mari Maurice à se trouver des amantes plus féminines.

C’est par l’entremise du couturier Paul Poiret qu’elles s’étaient rencontrées. Renée Hamon avait alors 39 ans. Elle avait été modèle et avait déjà été mariée une première fois. Puis elle bourlingua, bien loin de sa terre natale, en Polynésie. Pérégrinations dont elle tirera plusieurs reportages publiés dans des revues de renom et aussi un film sur Gauguin.

Colette jouera un rôle dans sa vie puisque c’est par son intermédiaire que Renée Hamon rencontrera celle qui devait devenir sa compagne, Christiane Denayer. Mais leur lien fut également entretenu par le ventre dans la mesure où, durant l’Occupation, Colette se déchaînait pour se nourrir correctement. Notamment grâce à deux fermières nantaises, pourvoyeuses de saucisses, mais aussi grâce aux bons soins de son corsaire. L’auteur des « Claudine » aimait bien manger et puisque c’était l’époque d’en parler, elle tenait Hitler pour « un monsieur végétarien qui ne mange que des flocons d’avoine à midi et parfois un œuf le soir » et qui plus est, dépourvu de sexualité.

Toujours est-il qu’à Paris il faisait froid, une punition supplémentaire à la faim. Colette n’avait pas son pareil pour trouver du charbon à stocker, pour son appartement au 9 de la rue de Beaujolais, mais la chose n’est pas comestible. Ce qui fait qu’elle envoya de l’argent à Renée pour qu’elle lui expédiât des pommes de terre, de l’ail et des oignons « mordorés ». Ce qui fut fait. Et l’expéditeur fut rebaptisé « le petit corsaire alimentaire ». Colette pouvait payer vu qu’elle travaillait pour certains journaux sans être trop regardante sur leur moralité en ces temps de guerre. L’écrivaine n’était pas à une contradiction près car son mari était juif (il fut même pris en otage dans un camp).  Colette fut critiquée mais, ses convictions profondes, enracinées dans sa ruralité d’origine, étaient, on peut le dire, au-dessus de ce qu’elle qualifiait de « folie ambiante ».

Et puis, celle qui partageait avec elle le goût de la Bretagne, mourut. « Ce petit être solitaire, écrivit Colette, qui a passé sans nuire à personne. » Sa tombe à l’abandon au milieu du cimetière Saint-Gildas à Auray fait qu’elle s’efface littéralement. Son nom disparaît lentement sous une végétation plate, faisant des taches comme des astres pâles. Si l’on distingue bien les deux patronymes, en se penchant jusqu’à tomber, les dates quant à elles sont noires comme de calamine. Il est bien possible que ce soit Renée Hamon, la dernière à avoir été inhumée.

On se surprend à ôter son chapeau afin de saluer l’oubliée ayant vécu dans l’ombre portée de Colette. Mais ce sont des gestes de terrien, malhabiles et vains. Là où elles se trouvent désormais, assises sur un nuage rose et blanc, elles partagent en effet dès que c’est possible des pommes de terre avec des oignons mordorés, quelques huîtres et du champagne. En se disant même que si elles avaient su, elles seraient mortes plus tôt.

PHB

Sources: « Lettres au Petit Corsaire » (Flammarion), « Colette » par Herbert Lottman (Fayard) et le site des « Amis de Colette »
Photos: ©PHB
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4 réponses à Renée Hamon, le nom effacé d’un petit corsaire

  1. Jacques Ibanès dit :

    Encore une très belle et sensible évocation. Merci Philippe. À signaler que Le Castor Astral a publié la correspondance échangée avec les « pourvoyeuses de saucisses » (« Lettres aux petites fermières »). Et pour faire descendre tout cela, je conseille l’ouvrage de Bernard Lonjon « Colette la passion du vin » riche d’une centaine de lettres à Jean Guillermot , vigneron en Beaujolais (Éditions du Moment).

  2. Merci Jacques pour cette allusion à ce livre sur Colette et le divin nectar paru en 2013 et réédité chez Jacques Flament en 2023 (il m’en reste encore quelques-uns) et bravo Philippe pour cette sensible évocation du « petit corsaire » qui avait vécu au Texas et fait le tour du monde en vélo avant de publier avant-guerre (celle que l’on croyait ultime) un petit ouvrage sur Gauguin. Mais je ne peux résister au plaisir de délivrer l’incipit de son livre « Amants de l’aventure » paru chez Flammarion en 1943: « Quand j’arrive dans un pays nouveau, la première chose que je fais pour piger la couleur locale, c’est d’aller au bordel ».

  3. Gilles Bridier dit :

    Espiègle et savoureuse flibustière!

  4. jmc dit :

    Merci Philippe pour cette visite instructive (toujours, n’est-ce pas, dans les cimetières) et touchante. On a envie d’y aller faire un tour, histoire de taquiner un peu plus le miracle des probabilités.

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