C’est Batz

Quand Apollinaire découvre pour la première fois la côte atlantique, il commence par la Baule puis explore quelque peu les environs. Il visite Guérande et aussi Bourg de Batz  (ou Batz-sur-Mer après 1931), desservis par le train. Lui le Méditerranéen, n’a pu manquer d’être frappé par cette mer agitée qui forme des champs de mousse blanche à chacune de ses frappes sur le littoral. Les vagues sont si impressionnantes que l’on attend la suivante avec l’espoir secret et enfantin qu’elle sera encore plus puissante que la précédente. Parfois l’eau monte avec la forme d’une flamme. Le fascinant spectacle arrête tous les visiteurs et même le joggeur ne peut s’empêcher d’y jeter un œil. À Batz, Apollinaire a laissé une trace. Dans ce qui est aujourd’hui le Musée des Marais Salants et autrefois le Musée des anciens costumes créé en 1887, il a apposé sa signature sur le registre des visiteurs. Cette excursion dans les environs de la Baule a eu une autre conséquence qui fera l’actualité cette semaine, le 27 février. Puisque sera mis aux enchères à partir de 14 heures, une carte postale adressée à l’artiste nantais Jean Émile Laboureur (1877-1943). Au recto l’on reconnaît Berlin et aussi l’écriture d’Apollinaire signifiant à son correspondant: « Cher ami, voudriez-vous m’envoyer à Paris un petit guide de Guérande. On en vend à Nantes il en est paru un cette année. »

Le poète par métier, n’est guère étanche à son environnement. Où qu’il aille, même s’il s’ennuie, Apollinaire tire quelque chose du décor, il ne se déplace pas pour rien. Comme Belmondo, c’est un professionnel. De ces deux petits patelins côtiers, il dira simplement: « Le ciel est bleu la mer est grande/Je regarde peiner là-bas/Les paludiers du bourg de Batz/Et pâlir les tours de Guérande. »

Les lieux ne sont pas vraiment touristiques. À Guérande il y a les marais salants qui miroitent les nuages et même la nuit les univers lactés, tandis qu’à Batz tout proche, ce serait davantage la sardine que l’on s’en va pêcher. Avant que la côte ne se garnisse progressivement de villas enviables, Batz était surtout un port. Et son passé s’étend loin dans l’Histoire puisque la petite cité compte aussi un menhir dit Saint-Michel, une « pierre longue » plantée sur le « trou du diable ». Avec quelques petites légendes qui entretiennent des mystifications bon enfant. Un de ces endroits en tout cas que les vacanciers doivent avoir du mal à quitter quand s’approche le mois de septembre. Il y a ici une ambiance tout à la fois aérienne et maritime comme deux mondes juxtaposés. Et face à cela on ne peut s’empêcher de songer à la toile magnifique que fit un jour Gustave Courbet d’un homme ôtant son chapeau devant la mer (à Palavas) afin de saluer comme il se doit ce cadeau permanent qu’il faut à toute force chérir et protéger. En tout cas, la déambulation dans Batz est aussi bien plaisante et l’on devine, comme pour la chapelle Sainte-Anne laissée à l’état de squelette élégant, ce qui a pu attirer le regard d’Apollinaire.

C’est donc le 27 février chez Giquello et associés (8e arrondissement de Paris), que sera mise aux enchères la fameuse carte postale évoquant un guide de Guérande. avec une mise à prix déjà consistante (400/500 euros) confirmant que la matière Apollinaire reste un bon placement. Suivront deux objets liés au poète. D’une part une photo de Lou, son amante légendaire, grimpant sur un frêle aéroplane, elle qui fut également pilote. Il y aura pour finir une autre carte postale un peu bizarre représentant un « bébé futuriste » expédiée depuis Heidelberg à Apollinaire avec un rien d’ironie, notamment signée par Blaise Cendrars et les époux Delaunay.

Tout cela, ce sont des choses à ranger dans des collections jalouses et que l’on sort de temps à autre avec une satisfaction émue ou maniaque. Mais le mieux vraiment, c’est d’aller faire un tour à Batz et à Guérande: ici rien n’est à l’encan, tout s’y respire à satiété et tout se partage. C’est un bien commun dont il faut espérer qu’il ne sera jamais dispersé par le marteau d’un commissaire priseur.

PHB

Giquello et associés, 5 rue la Boétie, Paris (VIIIe)

Photo: ©PHB
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Une réponse à C’est Batz

  1. BM Flourez dit :

    Merci de cette très belle, et je dirais quelque peu émouvante chronique au détour d’une image, qui donne à nos instants techniques et soucieux une vraie respiration.

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