« Roman d’Arthur Rimbaud », l’éclat fugace des jours insouciants

Arthur Rimbaud, poète de la fulgurance et de la flamboyance, compose « Roman » lorsqu’il est adolescent: un âge où l’ivresse des premiers émois et l’insouciance du quotidien s’entrelacent dans un tourbillon de sensations. Ce poème n’est pas simplement une évocation de l’amour adolescent, mais un tableau vibrant de la jeunesse, du désir et du passage du temps. Rimbaud y peint avec simplicité une histoire qui pourrait être celle de n’importe qui, transformant le banal en poésie. Derrière la simplicité des vers, Rimbaud saisit avec une rare justesse la fugacité du bonheur propre à l’âge de dix-sept ans. Ce poème justement semble être une ode à la jeunesse, un instantané de l’adolescence où l’amour naissant et les errances nocturnes se mêlent à la légèreté de l’été.

Ce qui frappe dans « Roman », c’est sa résonance universelle. Qu’on soit jeune ou adulte, homme ou femme, occidental ou oriental, on se retrouve dans ce mélange d’enthousiasme, d’errance et de découverte. Les jeunes reconnaissent dans ces vers l’exaltation des premières rencontres, l’ivresse légère des amours de passage, tandis que les adultes y retrouvent avec nostalgie un temps révolu où tout semblait possible. Rimbaud réussit à y capturer l’éphémère: l’adolescence où l’on croit que l’amour est absolu avant d’en découvrir la fragilité dans l’âge adulte.

La force de ce poème réside aussi dans sa simplicité. Pas d’élans lyriques démesurés, pas de métaphores hermétiques: juste des images limpides, des scènes du quotidien croquées avec vivacité. Aller boire un café, se promener, se perdre et se retrouver; tout devient poétique sous la plume de Rimbaud. Loin des grandes déclarations d’amour, « Roman » magnifie la beauté des gestes simples: marcher sous les tilleuls, observer un fragment de ciel, échanger un regard furtif. Ce dépouillement poétique rend le texte intemporel, accessible et profond.

Ce texte qui porte le titre évocateur de « Roman » n’est qu’un poème. Il ne s’agit pas d’un récit long ni d’une intrigue complexe. En quelques strophes, Rimbaud crée une atmosphère romanesque. Amour, désir, errance, ivresse, tout est là, condensé dans une succession d’images qui esquissent une véritable histoire. On dirait que c’est le style véritablement rimbaldien: faire d’un instant une épopée, de quelques vers un voyage. Derrière la légèreté des mots, une gravité se dessine néanmoins, celle du temps qui passe, du désir toujours renouvelé, d’une quête qui ne s’épuise jamais.

Ainsi, « Roman » est plus qu’un simple poème sur la jeunesse: c’est un hymne à la liberté et aux petits plaisirs qui font le sel de la vie. Il rappelle que chaque instant peut être une aventure, chaque sensation une révélation. « On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans », mais n’est-ce pas justement cette désinvolture qui est particulière à des premières passions ? Rimbaud, avec son écriture éthérée, nous invite à nous laisser emporter par le flux du quotidien et à trouver une forme de poésie dans des moments passagers.

Jaya Sharma

 

Roman

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans/Un beau soir, foin des bocks et de la limonade/Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !/On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !/L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;

Le vent chargé de bruits – la ville n’est pas loin /A des parfums de vigne et des parfums de bière…

Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon/D’azur sombre, encadré d’une petite branche/Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond/Avec de doux frissons, petite et toute blanche…

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser/La sève est du champagne et vous monte à la tête…/On divague ; on se sent aux lèvres un baiser/Qui palpite là, comme une petite bête…

Le coeur fou robinsonne à travers les romans/Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère/Passe une demoiselle aux petits airs charmants/Sous l’ombre du faux col effrayant de son père…

Et, comme elle vous trouve immensément naïf/Tout en faisant trotter ses petites bottines/Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…/Sur vos lèvres alors meurent les cavatines…

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août/Vous êtes amoureux. – Vos sonnets La font rire/Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût/Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire !…

Ce soir-là…, – vous rentrez aux cafés éclatants/Vous demandez des bocks ou de la limonade…/On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans/Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

Arthur Rimbaud (1854 – 1891)

Illustration: le portrait de Rimbaud par Verlaine accroché au-dessus de la Meuse à Charleville (photo: ©PHB)
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Une réponse à « Roman d’Arthur Rimbaud », l’éclat fugace des jours insouciants

  1. Joël Gayraud dit :

    Quelle merveille de naïveté savante, de fraîcheur sublimée ! Surtout si l’on pense que Rimbaud, quand il a écrit ce poème, n’avait pas dix-sept ans, mais quinze !

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