En renouant avec leurs origines, c’est-à-dire avec l’esprit de résistance cher au fondateur, les éditions Seghers livrent en ce début d’année un bel et copieux volume de poésie contemporaine. Pour ce faire, il a été fait appel à Jean-Yves Reuzeau, lui-même écrivain et jury du Prix Apollinaire, ce qui n’est pas rien. Hormis le foisonnement d’auteurs retenus pour garnir les presque quatre cents pages, c’est le regard de l’assembleur qui retient tout d’abord l’attention. Forcément, en sélectionnant une centaine d’auteurs, puis expérience aidant, cela l’a amené à dégager des tendances intéressantes dans la mesure où elles reflètent, au détour d’une strophe ou dans le virage d’une rime, une époque et ses marqueurs. La présentation de Jean-Yves Reuzeau n’est donc pas à enjamber à la légère. Sauf à faire quelques sondages d’abord afin d’y revenir par la suite. Marqueurs ou travers, certains aspects de la vie contemporaine ont ainsi infiltré la poésie des auteurs. « L’éco-anxiété », l’animalisme, le féminisme, la guerre, la fonte du permafrost, mais aussi la reconnaissance faciale jusqu’au frottis vaginal. Pour Jean-Yves Reuzeau la poésie « s’affranchit » mais cela ce n’est guère nouveau. Lui-même en convient d’ailleurs puisqu’il est entendu depuis longtemps que le genre poétique ne se limite pas « à l’art d’aller à ligne ».
Pour l’instant et sauf erreur, du moins dans ce livre qui ne mégote pas sur le plaisir de la découverte, l’écriture inclusive n’y figure pas encore, mais cela sent le faux calme. Car les auteurs poète·sse·x (pour les non-binaires) ou encore poètxsse (les neutres), affûtent à coup sûr leur redoutable arsenal. En tout cas dans ce livre, on peut sauter d’une page à l’autre sans avoir l’impression de marcher sur une mine. C’est déjà un soulagement.
Il y aura donc ceux qui liront dans l’ordre en suivant les balises de la numérotation des pages et les autres qui procèderont par incursions-surprises. Dans les deux cas, il faudra prévoir des marque-pages afin de retrouver facilement le texte qui n’attendait que notre regard impromptu pour nous séduire.
Ici ce ne sont pas les (bonnes) plumes qui manquent comme celle d’Olivier Barbarant, lequel prétend que l’on n’écrit vraiment pour personne ou alors pour les absents ou encore pour « les instants qu’il faut sauver ». Ce en quoi et sur ce dernier point il n’a pas tort. Les titres sont souvent tentateurs, comme celui de Linda Maria Baros, nous invitant à entrer dans son texte avec cette accroche aguicheuse: « Sept manières de se faire arracher la peau du crâne. » Son affaire n’est pas gaie mais elle nous convoque tout de même avec des crochets de fer. Il y a en toute fin de parcours des repères biographiques bienvenus. Ainsi cette Linda Maria Baros a été lauréate du prix Apollinaire ou du prix Rimbaud de la poésie de Paris. Les poètes ne dédaignent pas les décorations, le péché est des plus véniels et c’est toujours meilleur pour les ventes. Sachant qu’en outre elle est directrice du Printemps des Poètes, le pedigree comme les états de service, sont pour le moins sérieux.
La grosse majorité des textes est présentée comme inédite, ce qui donne à l’ensemble un côté exploratoire, donnant l’impression de fouler pour la première fois la mousse d’une île australe. Il faudrait un aboyeur pour citer tout le monde. N’en prendre que quelques-uns donnera forcément une (fausse) impression de sélection. On peut tout de même mentionner quelques trouvailles comme des fleurs impavides poussées sur une saillie rocheuse. Par exemple dans un poème d’Annie Le Brun où elle écrit que « Le matin a des parures d’or évasif ». Une friandise. Puis Marie Modiano dans sa proposition intitulée « À Österlen ou bien ailleurs » quand un veilleur de nuit interrogé déclarera que « Deux ombres sont montées dans la chambre ». Chacun a au moins un jour été cette ombre.
Cela fait aussi plaisir de retrouver Charlélie Couture, lui qui avait atterri un jour de 1981 avec une chanson titrée « Comme un avion sans ailes », et dont la mélodie est restée installée depuis tout ce temps dans nos mémoires. Il nous livre ici une « Élégie de la résistance électrique » pour le moins étonnante mais, c’est justement ce que l’on cherche, davantage que la séduction. Il nous parle des « idoles en plastoc » qui « n’amènent pas plus la paix que le sacrifice des enfants sacrés ». Et l’on marche dans sa combine en faisant bien attention de ne pas écraser la rime libre.
Ce livre fait partie de la catégorie de ceux que l’on commence sans jamais songer à la fin. Il est bon pour stationner sur la table basse du salon à côté du téléphone. Sa force fait bien souvent que la main hésite entre les deux objets. La couverture réussie apporte son aide, dans ce match devenu inégal.
PHB
il est possible d’en écouter quelques un (juste 12) ici
https://maisondelapoesieparis.com/scene-numerique/esprit-de-resistance-lannee-poetique-118-poetes-daujourdhui/?media=0