Créée en 1917 par Pierre Reverdy, tirée à peu d’exemplaires, la revue Nord-Sud est aujourd’hui l’une des plus recherchées par les collectionneurs. Son existence fut assez brève (seize numéros au total, jusqu’en octobre 1918) mais la qualité des signataires, les sujets traités, l’avant-gardisme affiché concourent à en faire une revue aussi importante pour l’histoire littéraire que Les Soirées de Paris quelques années plus tôt ou SIC que Pierre Albert-Birot fit paraître de 1916 à 1919. Le titre fait référence à la ligne de métro conduisant de Montmartre à Montparnasse, deux foyers parisiens importants en matière de création littéraire et artistique. Natif de Narbonne, Pierre Reverdy a 21 ans quand il arrive à Paris en 1910. Il s’installe au cœur de Montmartre, 12 rue Cortot (on y trouve aujourd’hui le musée de Montmartre). Il se destine à une modeste carrière de correcteur typographe. Mais surtout il a fait paraître ses premiers recueils de poèmes dont « La Lucarne ovale », dont on constatera plus tard qu’il s’agit d’une œuvre majeure.
Dans ce livre publié à une cinquantaine d’exemplaires en 1916, sans doute à compte d’auteur, le jeune homme se livre à des confidences qui en disent long sur sa vie quotidienne quand l’effervescence artistique remue le tout Paris, alors que la guerre fait rage depuis trois ans: « Le charbon était devenu aussi précieux et rare que des pépites d’or. » La peinture le passionne (« Ce n’est un secret pour personne, j’aurais dû être peintre »), il défend ardemment le cubisme tandis que Picasso vante ses qualités de critique: « Il parle de peinture comme nous, non en littérateur mais en peintre. »
Créer une revue, fût-elle à tout petit tirage, c’est à l‘époque le meilleur moyen d’asseoir sa notoriété et de se placer dans le grand concert des idées d’avant-garde qui fusent de tous côtés. Reverdy rencontre le couturier mécène Jacques Doucet qui accepte de participer financièrement à l’aventure. Quant au travail « technique », l’impression et la typographie… il est tout désigné pour s’en occuper.
La revue, mensuelle, d’un assez grand format, étonne par la sobriété de la présentation. Titre en gros caractères, numéro, date, sommaire, prix: la couverture est on ne peut plus spartiate. Dans le premier numéro, 15 mars 1917, la rédaction affirme sa volonté de construire, déjà, l’après-guerre: « La guerre se prolonge. Mais on en connaît d’avance l’issue. La victoire est désormais certaine. C’est pourquoi il est temps, pensons-nous, de ne plus négliger les Lettres, de les réorganiser parmi nous, entre nous. »
On ne sera guère surpris de retrouver dans le sommaire le nom d’Apollinaire. L’écrivain apportait volontiers son concours aux nouvelles revues, très nombreuses… dont la plupart disparaissaient d’ailleurs après quelques numéros. Mais pour Nord-Sud, sa présence est essentielle. C’est le maître, l’écrivain à suivre, le modèle. L’éditorial du premier numéro ne laisse aucun doute: « Plus que quiconque aujourd’hui, il a tracé des routes neuves, ouvert de nouveaux horizons. Il a droit à toute notre ferveur, à toute notre admiration. » Apollinaire fournira des textes pour chacune des parutions jusqu’au numéro 13. Beaucoup de ces poèmes figureront ensuite soit dans Calligrammes soit dans le recueil posthume « Il y a » (1925). Les autres signataires forment une impressionnante cohorte d’écrivains novateurs: « Les noms des collaborateurs parlent presque toujours au lecteur d’aujourd’hui », note le grand spécialiste de Reverdy, Étienne-Alain Hubert. Max Jacob tient le haut du pavé et intervient plus de vingt-cinq fois. Reverdy est bien évidemment présent dans chacune des éditions.
Lorsque la revue cessera de paraître, en octobre 1918, elle pourra se vanter avoir accueilli des textes de Philippe Soupault, André Breton, Tristan Tzara, Paul Dermée, Louis Aragon, Vicente Huidobro, Jean Paulhan, Apollinaire… sans compter les deux numéros exceptionnels ( les n°13 et 14) où figurent de magnifiques hors textes de Georges Braque et Fernand Léger.
L’armistice sera signé un mois après la parution du dernier numéro. Tous les collaborateurs de la revue, écrivains, poètes, artistes, avaient partagé frénétiquement le même espoir de voir surgir un monde nouveau: « La victoire avant tout sera / De bien voir au loin / Et de tout voir / De près / Et que tout / Ait un nom nouveau » (Apollinaire, La Victoire).
Gérard Goutierre
Photos: ©G.Goutierre
La revue a fait l’objet d’une réédition en fac similé chez J M Place en 1980,
On y trouvera une étude très approfondie d’Etienne-Alain Hubert.
En vente chez quelques libraires d’ancien.
On peut consulté, gratuitement, tous les numéros de Nord-Sud sur le site Scopalto.
Bonne journée.
Passionnant et d’une lecture agréable.On comprend que les collectionneurs recherchent une telle revue . Le commentaire de Picasso est le plus louangeux que l’on puisse imaginer… merci.