Adhésif ou pas

En soi l’objet est beau. Mais si ordinaire qu’il n’intéresse personne. Le rouleau de scotch, dont la marque est passée dans le langage commun, fait partie de ces objets du quotidien dont le design, pourtant soigné, n’émeut pas. Il en va ainsi d’un ouvre-boîte ou d’une paire de ciseaux à ongles. Leur épure a eu beau être élaborée avec les plus grands soins, ils ont le don d’invisibilité sauf au moment où on les cherche bien sûr, afin de s’en servir et non pour les admirer. Il y a eu quand même quelques artistes comme Marcel Duchamp ou Andy Warhol, ayant compris qu’en les signant, en les isolant ou en les colorant, on obtenait une œuvre par décret. Le décret revenant par ailleurs en force dans le champ linguistique à cause d’un président tout de même un peu névrotique sur les bords, c’est le moment ou jamais de ré-opérer quelques trucs dans le domaine de l’art. Très récemment l’artiste italien Maurizio Cattelan, ayant regardé tour à tour une banane et un rouleau de ruban adhésif, avait décidé de les associer en les fixant sur un mur. Mis à prix 800.000 dollars, l’ensemble a été adjugé 6,2 millions de dollars par Sotheby’s au profit d’un de ces nouveaux crypto-monnaie-maker. Entre en rester babas ou scotchés, de l’autre côté du miroir, les différences s’effacent.

L’histoire du ruban adhésif en tant que tel a été tracée. Il semblerait qu’elle soit assez récente et qu’elle viendrait -encore- des États-Unis où un gars un peu malin de la société 3M (propriétaire du mot scotch) avait posé les bases d’un système de papier adhésif, permettant des ajustements précis de peinture, c’est-à-dire sans bavures. Le scotch était né. Mais l’on peut imaginer que depuis le temps des cavernes, l’homme au sens général (donc y compris les femmes) avait trouvé d’autres moyens de fixer quelque chose avec quelque chose d’un peu collant allant du végétal à une tendre crotte de bique. Mais c’est quand même le rouleau qui fit toute la différence. Dans « Gran Torino », Clint Eastwood explique à son jeune protégé qu’avec un bon rouleau de ruban adhésif, il est possible de réparer beaucoup de choses sans s’embêter. Et l’on sait depuis un moment grâce aux films dont l’action se passe dans l’espace, qu’une brèche dans la combinaison ou la visière du casque se colmate facilement par ce moyen.

Le scotch n’a comme le sparadrap (plus ancien) n’a qu’un seul inconvénient. Il peut être difficile à détacher, voire douloureux s’il est utilisé pour fixer une compresse. Mais « tant que ça tient », par exemple en plomberie, nul n’est jamais pressé de trouver une autre solution. Dans le cas de la banane de Maurizio Cattelan, fabriquée en trois exemplaires, elle est livrée avec une notice expliquant comment remplacer le fruit forcément éphémère. Et son propriétaire devra donc refixer régulièrement la chose avec un sentiment aigu de coïncidence répétée. Mais c’est une petite tendance dans l’art, s’il s’agit d’une installation évolutive, que de la livrer avec la notice ou tout simplement de vendre la recette. On ne s’étonnera plus de rien.

Quant au Post-it, là aussi marque déposée par la même maison citée plus haut, il a été à l’occasion, détourné en art et certains employés de certaines tours de bureaux ont même imaginé des messages visibles de l’extérieur pour la joie innocente des badauds. Sa fonction première étant celle d’être un pense-bête il est remarquable de songer qu’il n’est pas besoin d’inventer quelque chose pour ne pas penser à faire quelque chose.

L’homme des cavernes ne rédigeait rien en ce sens sur les parois, car le petit carré de couleur n’avait pas encore été inventé. Faute de post-it, il convenait de solliciter un ami en lui disant « fais-moi penser à ». Mais ce n’était pas toujours pratique et l’on connaît tant de relations qui se décollent que le procédé n’est pas fiable et fidèle comme un post-it. Le troglodyte ne pouvait donc pas laisser à son conjoint ou à sa conjointe un message du type, « il y a de l’auroch froid » dans ce qui tenait lieu de frigo, alors que de nos jours, avec un petit carré adhésif, le tour est joué.

Cependant, le matériel éphémère étant ce qu’il est par définition, on ne saura jamais si le Néandertalien avait trouvé une astuce équivalente au post-it, c’est tout le secret du provisoire.

PHB

Photos: ©PHB
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