Le moment venu

L’infirmière pousse le piston de la seringue, l’anti-douleur chemine dans les veines de Martha et, l’on voit son visage s’illuminer puis disparaître dans la sensation ineffable du soulagement. Elle c’est Tilda Swinton, celle qui tient le rôle de la malade dans le dernier film de Pedro Almodovar, « La chambre d’à-côté ». Pas de maquillage, nul fond de teint, nul anti-cernes, le visage creusé, le regard sec, elle correspond sans aucun doute à l’idée que l’on se fait d’une période de chimiothérapie. Encore qu’il doit y avoir des femmes qui ne sauraient renoncer à un minimum de présentation quelles que soient les circonstances. Dans la chambre se tient son amie Ingrid, jouée par Julianne Moore. Cette fois elle change de poste. En 2015, c’était elle la malade dans « Still Alice », frappée par le sort d’un cerveau dont la mémoire se délitait inexorablement. Pourquoi un titre aussi plat? Parce qu’il correspond à la volonté de Martha d’en finir avec la vie et qu’elle a demandé à Ingrid d’attendre dans la chambre à côté, que la pilule fatale fasse son effet. Faut-il pour ce film parler d’un « coup de maître » comme l’a écrit Vanity Fair? Disons qu’il s’agit d’un bon film ce qui est déjà pas mal. Sachant que beaucoup de critiques ont souvent du mal à se situer entre la perception extatique d’un film et la mention « bon pour la benne ».

La mort est un sujet éculé mais là où elle nous interpelle, quelque chose répond toujours en nous. La temporalité du film d’Almodovar se situe à ce moment spécial où quelqu’un sait qu’il est proche de partir et qu’une autre personne se tient dans la même pièce, la même antichambre. C’est l’heure où rien n’est encore signé. Comme l’instant où l’on accompagne un proche à l’entrée de la salle d’embarquement, dans un aéroport. Il y a le laps d’avant et le laps d’après: on peut encore se faire signe mais, une vitre de séparation rend déjà les langages muets. La caméra d’Almodovar filme en quelque sort le « moment venu ». La différence étant que Martha révoque par avance toute idée d’agonie une fois son cancer entré en phase d’accélération. Ce pourquoi elle se procure une pilule fatale sur le dark web et qu’elle sollicite dans la foulée, une ancienne amie réapparue afin de se tenir à proximité, dans une maison qu’elle va louer pour ce faire, à la campagne.

Lorsqu’elles pénètrent dans cette maison, les deux amies remarquent sur le mur une reproduction du peintre Edward Hopper. Et quand elles s’allongent sur deux transats, face aux arbres avec le chant des oiseaux comme ambiance sonore, le cinéaste se refait un tableau à la façon de. C’est donc bien là que cela va se passer. Martha prévient Ingrid qu’elle laissera toujours la porte de sa chambre ouverte mais, si elle la trouve fermée un matin, c’est que la chose se sera produite. Elle est déterminée et réprouve à juste titre ce discours finalement idiot et un brin culpabilisant selon lequel  il faudrait se « battre » contre la maladie.  L’époque refuse les soins, déporte les responsabilités sur le patient, avec ce choix binaire, exclusif, entre victoire et défaite.

Les deux personnages sont deux intellectuelles américaines comme il en reste encore. L’une écrit des romans, l’autre est une reporter de guerre. Parfait pour une certaine clientèle abonnée aux titres de presse qui encensent ces catégories. Almodovar réalise un film plutôt subtil, sans faute de goût notable. Cependant, cela fait un moment qu’il a perdu ce côté subversif, original en diable, qui caractérisait ses premiers longs métrages. C’est dommage. En étant plus sage il ne perd pas pour autant son talent, il le change. Il filme -bien- une période de la vie où l’on discerne avec pragmatisme, y compris pour lui car il est né en 1949, que la douane se rapproche. Et sans doute est-ce en cela, à cause de cette parité générationnelle (plus ou moins), que son public le suit toujours.

S’il y a bien quelqu’un que l’on a plaisir à retrouver dans cette histoire, c’est Tilda Swinton. Cette actrice se situe à un niveau de jeu enviable parmi ses pairs,  du moins quand un réalisateur lui offre un rôle à la bonne hauteur. Elle est bonne sur tous les registres. On se souviendra de son rôle de toiletteuse de morts dans « The dead don’t die » de Jim Jarmusch, en 2019. Elle y campait un personnage assez réjouissant, au langage châtié, prompte à décapiter au sabre d’improbables zombies. On aimerait l’avoir pour amie dans la chambre d’à-côté.

PHB

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2 réponses à Le moment venu

  1. Yves Brocard dit :

    J’ai vu le film. Il est propre, bien fait, bien construit, sans longueurs. Histoire originale, personnages intéressants, bien interprétés. Pour une fois pas trop de couleurs criardes. Toutefois je suis resté un peu sur ma faim. La partie la plus palpitante, liée au droit de mourir, on ne la verra pas, oblitérée par le générique de fin.
    Bonne journée

  2. Yves Brocard dit :

    Mais je recommande tout à fait ce film captivant !
    J’ai une interrogation : dans un film sur deux à peu près, quel que soit son pays d’origine (France, US, Portugal, Chili, Corée, etc.) la voiture du principal personnage est une Volvo break et, si ce n’est le cas, on en voit une au détour d’une rue. Et ce, déjà dans des films des années 80 ! Le millésime de la voiture est adapté selon l’histoire. Pourquoi cette marque et ce modèle sont-ils si fréquents. Est-ce que Volvo fait ainsi sa pub, en prêtant gratuitement la voiture, ou en finançant le film ? J’ai souvent essayer de voir si Volvo était dans le générique, mais sans succès. Ou est-ce parce que techniquement ce modèle est particulièrement adapté aux contraintes de tournage, robuste et très disponible ?
    Quelqu’un connaît-il la réponse?

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