« John » Cocteau

La presse anglaise consacra, pour cet écrivain français, une large place. Elle avait en effet suivi, avec une rare intensité, l’élection, puis la réception de Jean Cocteau à l’Académie française, en 1955. On pouvait parler d’événement puisque pas moins de dix mille personnes voulurent y participer. D’ailleurs, c’est surtout l’aspect mondain qui captivait les journalistes anglais. Avec des détails accrocheurs: Cocteau était habillé par Lanvin et son épée avait été dessinée par Picasso (voir commentaires à ce propos ndle). De surcroît, comme le souligne Olivier Rauch dans un livre qui vient tout juste d’être publié, les Britanniques aimaient ce pays, lequel savait défendre à ce point sa propre langue. Depuis sa jeunesse, Cocteau  (1889-1963) a longtemps misé sur l’Angleterre et l’île le lui a bien rendu jusque bien après sa mort. Olivier Rauch a été bien inspiré de se saisir de ce prisme original, géographique, dans la mesure où le profil du poète et artiste apparaît souvent sous un jour différent, « so british » justement.

Bien qu’il ne parlât peu la langue, l’auteur de « Parade » ou « d’Orphée n’a eu en effet de cesse d’entretenir une liaison trans-Manche, y compris par correspondance. Il ressort au fil des pages que le dandysme propre aux Anglais n’était pas étranger à cette attraction du Français. Dans l’Angleterre qu’il a fréquenté assidûment, Jean Cocteau n’a pu en revanche que regretter la pénalisation de l’homosexualité, alors que ce n’était plus le cas en France depuis la Révolution. Mais quand on aime l’Angleterre et surtout ses mondanités, on ne fait pas le tri. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que Cocteau sera pratiquement le seul Français à être convié au mariage de la princesse Margaret. Cérémonie à propos de laquelle il aura ce commentaire agacé: « Si je suis le seul invité à ce mariage, c’est parce qu’après le Général de Gaulle, je suis le premier de France ». Même avec l’énervement, la remarque en dit long sur son profil égotique.

Ce livre bien écrit et renseigné, nous indique aussi comment certains sujets de Sa Majesté seront appelés à la rescousse après la Seconde Guerre mondiale. Car le comportement de Cocteau avec l’occupant n’a pas été étanche tant s’en faut. Et les griefs à ce sujet allaient pleuvoir tandis que ses œuvres seront ostensiblement boudées. Picasso et Aragon le « battent froid » commente Olivier Rauch, tandis qu’André Breton et Philippe Soupault, laissent mijoter à son endroit une haine tenace. Afin de contrer la chasse aux sorcières qui prévaut alors, Jean Cocteau va puiser dans son carnet d’adresses et notamment se rapprocher de l’épouse du nouvel ambassadeur du Royaume Uni en France, Diana Cooper. Cela tombe bien, elle cherche à pénétrer les milieux artistiques et littéraires hexagonaux et, sur ce plan, l’homme de « La belle et la bête », a encore de la ressource et l’entregent qu’il faut. De surcroît, nous rappelle l’auteur, dans un Paris à peine libéré où les restrictions alimentaires sont quotidiennes, l’ambassade reçoit fastueusement, ce qui incite forcément à mettre un terme aux bouderies et aux rancœurs. Les petits fours sont corrupteurs en diable avec les ventres affamés.

Le traitement de cette relation entre Cocteau et l’Angleterre, n’est pas vendu comme exhaustif par le narrateur mais tout de même, il en donne beaucoup. Ni amène ni à charge, son récit est bien distribué, singulièrement dans son avant-dernière partie consacrée aux amis d’outre-Manche. Olivier Rauch consacre ainsi un long dégagement à Miron Grindea (1910-1955) né en Moldavie. Un sacré personnage ayant traduit le « Candide » de Voltaire à treize ans et qui, c’est un point important, collaborera à la revue culturelle ADAM, sise à Bucarest. Il fuit avec sa famille de l’autre côté de l’English Channel, en 1939, juste avant que l’Europe continentale ne devienne un piège atroce pour les juifs. Et c’est là-bas, du côté de Londres qu’il va relancer la revue et en faire durant de longues années, une chambre d’échos culturelle pour maints artistes et auteurs, dont Cocteau. Ce périodique n’avait pas une grande diffusion mais, sa notoriété pourvoyait en lumière et en promotion ceux qui y collaboraient, Jean Cocteau en tête mais aussi des auteurs anglo-saxons et de grandes signatures comme Picasso, Matisse ou Chagall. La revue ADAM détient un record de longévité. Cocteau y contribue en fournissant textes et dessin en abondance. Pour aider les finances de Cocteau lâché par sa mécène Francine Weisweiller (1916-2003), Grindea avait commandé au poète une série de dessins en vue de les commercialiser. Mais les dessins transformés en tapisserie étaient arrivés à Londres trop tard: Cocteau était mort. Ils n’ont jamais été exposés.

Avec l’Angleterre comme point de départ, le livre d’Olivier Rauch nous offre donc un autre point de vue sur un magicien à la mauvaise humeur toujours prête à se manifester. Mais la plume de l’auteur ne nous le fait pas pour autant voir en noir, c’est toute la réussite de son enquête.

PHB

« Jean Cocteau, du côté de l’Angleterre et des Anglais ». Olivier Rauch. Éditions l’Harmattan, 35 euros
Photo et illustration:©PHB
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5 réponses à « John » Cocteau

  1. Jacques Ibanès dit :

    Pour revisiter la profondeur et la complexité de Cocteau qui s’est trouvé sur tous les fronts de la modernité de son temps, je conseille la revue Instinct nomade qui lui a consacré récemment une somme richement documentée de 400 pages (Instinct nomade n°12, éditions Germes de barbarie).

  2. Yves Brocard dit :

    « Épée de Jean Cocteau, de l’Académie française, dessinée par lui-même et réalisée par Cartier en 1955 » C’est l’Institut de France qui le dit…
    Ce livre bien écrit et renseigné…
    Bonne journée

    • Rauch Olivier dit :

      En effet, l’épée d’académicien a bien été dessinée par Cocteau lui-même. Le journal The Times avait annoncé une épée dessinée par Pablo Picasso et j’ai omis de noter l’erreur.
      Merci pour votre lecture attentive.
      Olivier Rauch

  3. Yves Brocard dit :

    La photo de couverture du livre montre Cocteau peignant la fresque de de la chapelle de l’église Notre-Dame-de-France de Londres. Wikipédia nous dit que « René Varin a fait appel pour la décoration à Jean Cocteau, qui y a réalisé une fresque dans la chapelle de la Vierge, entre le 3 et le 11 novembre 1959. »
    René Varin, résistant auprès de De Gaulle pendant la guerre, attaché culturel de l’ambassade de France à Londres au lendemain de la guerre, était mon grand-père.

  4. Marie-José Sélaudoux dit :

    Cocteau n’a jamais pactisé avec l’occupant nazi. L’affaire Arno Breckker a été depuis longtemps élucidée.
    Est aussi à déplorer l’erreur sur l’épée d’académicien de Cocteau qu’il avait lui-même dessinée et qui avait été réalisée par la maison Cartier, mais cette erreur a déjà été repérée.

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