Ce n’est pas pour ses seules qualités littéraires que la ville de Nice a donné le nom de Théodore de Banville (1823-1891) à une de ses rues (quartier Libération) ainsi qu’à un petit jardin public offrant une jolie vue sur l’entrée du port. C’est surtout parce que le poète, ami de Victor Hugo et de Baudelaire, est l’auteur d’un ouvrage entièrement consacré à la gloire de la ville: « La Mer de Nice, Lettres à un ami », publié en 1860 par Poulet-Malassis, le fameux éditeur des « Fleurs du Mal ». Une nouvelle édition présentée et commentée par Jean-Paul Goujon propose fort opportunément de larges extraits de ces sept Lettres qui furent d’abord réservées aux lecteurs du journal parisien Le Moniteur, avant d’être regroupées dans un seul ouvrage. Le texte d’introduction, ainsi que les notes, seront d’un grand intérêt pour le lecteur d’aujourd’hui, car les références culturelles de Banville n’ont pas toujours traversé les époques. Cela n’altère en rien la qualité du style et le plaisir gourmand de la lecture: on peut difficilement aller plus loin dans l’éloge d’un lieu, d’une région. « Le livre est parcouru d’une sorte de hennissement de bonheur », remarque Jean-Paul Goujon.
On ne parlait pas en 1860 de « Côte d’Azur » (l’expression sera créée une trentaine d’années plus tard par l’écrivain dijonnais Stéphen Liégeard), mais la ville était devenue le lieu de villégiature hivernale préféré de la haute société britannique. Les Anglais y avaient leur Promenade depuis 1822. Théodore de Banville décide de s’y installer en décembre 1859 pour des raisons médicales: il souffre alors d’une grave anémie et l’hydrothérapie du docteur Fleury, alors en vogue, n’en venait pas à bout. Ce déplacement fut on ne peut plus bénéfique. L’état de santé s’améliora rapidement. Rétabli, l’écrivain se mêla à la vie littéraire niçoise notamment avec son ami le romancier Alphonse Karr, dont une rue de Nice porte aujourd’hui le nom. Il prit parti pour l’annexion de la ville italienne à la France, devenue effective le 14 juin 1860.
Pour célébrer la ville dont il était tombé amoureux, Banville se réfère d’abord aux célébrités qui l’avaient précédé. Voici notamment Niccolò Paganini, mort dans le vieux Nice à l’âge de 57 ans (en 1840) après avoir ébloui l’Europe entière de son talent démoniaque, puis la diva d’origine espagnole la Malibran: ces deux artistes hors du commun ne pouvaient trouver le repos indispensable à leur art que dans ce Nice « mélodieux et calme qui porte en lui une si intense faculté d’apaisement ». La mer est constamment présente: « Qui dira l’irrésistible séduction de cette Méditerranée à peine plissée par le vent en tout petits plis ondoyants comme la tunique légère d’une nymphe endormie ? »
Mais c’est surtout la végétation de cette « bourgade du soleil et des fleurs » qui provoque les dithyrambes les plus appuyés. Banville s’extasie devant les roses qui « ne ressemblent en rien aux roses orgueilleuses de nos jardins {…}, celles-ci se penchent au devant du malade et l’accueillent …elles éteignent leur pourpre triomphale pour ne pas offenser ses regards par trop d’éclat ». Difficile de résister à l’enthousiasme de l’écrivain, même si le style a parfois l’inflexion des voix chères qu’on ne lit plus. Mais on se délectera de ces tableaux vivants glanés dans cette région encore préservée des promoteurs. Banville nous emmènera jusqu’à Monaco « paradis étrange où les fruits d’or murissent à l’ombre des oliviers; pas de blé, pas de charrue, pas de laboureur… » car ici n’existe pas le « farouche travail, supplice et gloire de l’homme »!
Si les Niçois ont un peu oublié l’écrivain qui a vanté avec autant de passion le charme de leur ville, le jardin public de l’avenue Jean Lorrain, à quelques mètres de la mer, est orné depuis 1932 d’un monument lui rendant hommage avec en médaillon le profil du poète, sous lequel on peut lire: « Le sort de Nice est de régner sans partage parmi les filles de la Méditerranée … » (photo ci-contre)
Le voyage à Nice représente donc pour Banville « un retour vers l’Eden perdu » selon les mots de Baudelaire, cités par Jean-Paul Goujon. Ce dernier ne manque pas d’évoquer la personnalité d’une autre écrivain qui, quelques décennies plus tard, vantera à son tour la ville azuréenne: il s’agit bien évidemment de Guillaume Apollinaire qui, à 16 ans, fut élève au lycée Masséna. C’est à Nice qu’il fera la connaissance de son amante Lou et c’est dans cette même ville qu’il s’engagea pour combattre avec l’armée française en 1914. Une plaque, visible rue Alfred Mortier, rappelle cet événement: « Je me suis engagé sous le plus beau des cieux/Dans Nice la Marine au nom victorieux. »
Gérard Goutierre
Merci de m’avoir fait connaître à la fois Théodore de Banville et ce beau jardin dont je recommande la visite à tous les amoureux de Nice. Egalement cette maison d’édition, à laquelle je me suis empressée de commander l’ouvrage en question (et d’autres).
Merci pour ce rappel, le jardin a beau être connu, bien des Niçois passent en effet sans s’aviser de la présence du grand romantique.
A propos de Nice et des écrivains, ce cliché un peu décevant d’un auteur par ailleurs révéré de mes services: “Une belle courtisane, mollement couchée au bord de son miroir d’azur, à l’ombre de ses orangers en fleurs, avec ses longs cheveux abandonnés aux brises de la mer, et dont les flots viendraient mouiller ses pieds nus, car Nice, c’est la ville de la douce paresse et des plaisirs faciles…”. Oui, c’est dans le Dumas du Voyage à Florence.
Et puis Nice c’est aussi la ville de Le Clézio qui, sans la nommer, célèbre cette ville dans son style lyrique et chaleureux dans « Mondo et autres histoires ». C’est aussi la ville de Suzie Morgenstern, qui a donné à la « littérature pour la jeunesse » quelques uns de ses plus beaux chefs d’œuvre (dont certains se déroulent à Nice).