Victor Hugo, le réalisme et pas au-delà

Aux environs de 1816, le très jeune Victor Hugo passe devant le ministère de la Justice à Paris. Il n’a que quatorze ans et assiste à une scène dont il se souviendra toute sa vie. Et qu’il racontera en 1862, dans une lettre postée depuis Guernesey. Il y situe alors l’action deux ans plus tard mais peu importe. Une jeune fille était liée à un poteau planté sur la place, tandis qu’à ses pieds rougeoyait un seau de braises avec un fer planté dedans. Un homme monta alors sur l’échafaud, prit le fer, écarta la camisole de la malheureuse et appuya profondément sur son épaule avec le fer chauffé à blanc. Au point, se souvenait Hugo qui n’oublia pas le cri de l’infortunée, que l’avant-bras et le poing du bourreau disparurent sous une fumée blanche. C’était une voleuse, une domestique, mais le grand écrivain qu’il était alors devenu, depuis son exil, évoqua surtout une « martyre ». De là, écrivit-il à son correspondant suisse, il sortit « déterminé à combattre à jamais les mauvaises actions de la loi ». On devrait célébrer les 150 ans de l’anniversaire de sa mort au printemps l’année prochaine, l’occasion de se plonger dans un petit livre sur le bonhomme que publia , en 1952, un certain Louis Aragon.

Pour une fois Aragon le poète avait mis de côté son écriture enchanteresse afin d’être le plus clair possible, dans son explication visant à établir que l’auteur des « Contemplations » était un « réaliste », attachant sa poésie aux sujets sociétaux. Ayant été peu ou prou, selon les saisons, un surréaliste, Aragon avait de quoi dire, lui qui par ailleurs s’était plongé jusqu’au cou et sans être trop regardant dans l’idéologie communiste. Mais enfin c’était dans le fond un compassionnel, un humaniste, ce qui lui conférait une certaine parenté de vue avec Victor Hugo.

Ce qu’il admire, notamment chez l’homme politique, l’homme de plume qu’était Hugo, c’est sa capacité à évoluer là où certains y voyaient une inconstance. Tout jeune l’écrivain était monarchiste, ce qui lui fit dire plus tard: « Parce que j’ai vagi des chants de royauté/Suis-je à toujours rivé dans l’imbécillité? » Celui qui devint plus tard un adversaire musclé de la peine de mort, considérait la monarchie comme un « rhumatisme antique », ce qui est assez drôle. Et il se méfiait aussi de toutes les idées, de gauche comme de droite, dès lors que l’humain et la liberté passaient après-coup.

Cela fera donc 150 ans que Victor Hugo nous  a quittés -sous de sinistres pompes nationales il faut bien le dire- et on peut se demander aujourd’hui quels seraient ses chevaux de bataille. Nous aurions peut-être des surprises, qui sait, difficile de spéculer là-dessus, puisqu’il évoluait sans cesse. Avant qu’il rejoigne ses pairs en altitude, il fut un poète, réaliste donc, sur lequel l’œil analytique d’Aragon versant sur lui un éclairage averti: « Hugo vise à briser l’alexandrin classique, à lui chercher des rythmes nouveaux, c’est lui qui fonde ces audaces. Tout cela sous la vêture proprement romantique, le shakespearien, ou le gothique, ou la romance espagnole, ou la ballade allemande (…). Avec son talent à l’autorité pondérale comme de la pierre de taille, Hugo l’admettra du reste, avec ce radicalisme qui saura toujours réveiller les assoupis: « J’ai jeté le vers noble aux chiens noirs de la prose ».  Difficile de surenchérir, mais en est-il besoin.

Aragon a bien fait de défendre Hugo. Et de rappeler comment il vola notamment au-secours d’un américain nommé John Brown (1800-1859). Lequel s’était engagé pour la cause noire avant de finir pendu dans un procès truqué, vivement dénoncé par Hugo lequel fit graver le dessin du pendu avec l’inscription: « Pro Christo sicut Christus » (Pour le Christ, comme le Christ).

Hugo sait faire assaut de modestie et même de résipiscence. En 1846, déjà mûr, il écrivait: qu’il ne croyait pas « aux rois propriétaires d’hommes », qu’il reconnaissait ses erreurs comme Marc Aurèle et qu’à l’instar de l’empereur et philosophe, il ne pouvait prétendre être davantage « qu’un atome ». Un atome? Il répètera le mot en 1859 dans son texte s’opposant à la pendaison de John Brown: « Quant à moi je ne suis qu’un atome, mais qui, comme tous les hommes, ai en moi toute la conscience humaine, je m’agenouille avec larmes devant le grand drapeau étoilé du nouveau monde, et je supplie à mains jointes, avec un respect profond et filial, cette illustre république (…) de sauver John Brown« .

Sa voix depuis Guernesey n’avait pas su porter au-delà de l’Atlantique comme il l’espérait, mais au moins pouvait-il se dire, la conscience semi-tranquille, qu’il n’était pas resté les bras ballants ou la tête fichée dans le sable.

PHB

« Hugo, poète réaliste », Aragon éditions sociales, 1952
Photos: @PHB (buste d’Hugo au Musée Victor Hugo)
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Une réponse à Victor Hugo, le réalisme et pas au-delà

  1. jmc dit :

    Merci pour cette découverte cher Philippe. Au passage, j’ai eu la curiosité de chercher si les Editions Sociales existaient toujours. Eh bien oui, l’éditeur historique du PCF a semble-t-il été repris par des salariés et des auteurs à la fin des années 90.
    Dans le catalogue mis en avant sur son site, sous l’exergue amusante « Make marxisms great again »: Phénoménologie, marxisme et lutte anticoloniale; Découvrir Vygotski; Découvrir Saint-Just…

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