En quête d’une odyssée extraordinaire ? Rendez-vous sur le quai numéro 8 (Central Pier 8) pour embarquer à bord du HKMS (Hong Kong Maritime Museum). Naviguant d’une collection à l’autre, chacune relatant un fragment du riche héritage marin du Port au Parfum, vous vivrez un voyage dans le temps époustouflant, avec en toile de fond, des jonques aux voiles tendues par des bambous, des pipes et jars à opium, des porcelaines de Chine, des peintures épiques témoignant de l’activité des Compagnies des Indes orientales, des manuscrits contant des histoires de pirates, etc. Sillonner la mer de Chine d’une dynastie à l’autre, puis jeter l’ancre au turbulent Victoria Harbour étourdit, parfois au risque de perdre le cap. D’ailleurs, n’est-ce pas le moment opportun de faire le point, tandis que la Semaine Maritime 2024 de Hong Kong (Hong Kong Maritime Week 2024) s’ouvre. Ce rendez-vous annuel de toute la filière navale (du 17 au 23 novembre) se destine à tirer les leçons du passé, analyser le présent, deviner le futur pour mieux propulser (« to propel » lit-on sur sa description officielle) Hong Kong sur une route florissante, avec son étendard, flottant au vent, de Place internationale prestigieuse.
À ce propos, en flânant sur le pont C (Deck C) du HKMS qui dépeint l’histoire navale chinoise depuis la dynastie des Song (960 à 1279), le visiteur est invité à se souvenir que Hong Kong n’a pas toujours été ouvert au négoce avec l’Occident. Avant le traité de Nankin, signé le 29 août 1842 entre l’Empire du Milieu et la Grande-Bretagne à l’issue de la première guerre de l’opium, le seul port de Chine autorisé à commercer avec les étrangers était celui de Canton. Encore fallait-il respecter un ensemble de règles instaurées par l’Empereur Qianlong en 1757, appelé le « Système de Canton » (en vigueur jusqu’en 1842).
La dynastie Qing désignait des sociétés marchandes gérantes -contre une chère redevance payée à l’État- de tout le commerce entrant sur le Continent chinois. La mission de cette guilde monopoliste, surnommée par les Occidentaux « cohong » (déformation du mot gonghang, signifiant « marchand officiellement agréé »), était de se porter garante de chaque navire étranger (personnel compris) qu’elle autorisait à entrer dans le port de Canton. Dès qu’un vaisseau obtenait la permission de mouiller à Whampoa (aujourd’hui le district de Huangpu de Guangzhou), marchands et marchandises étaient transportés par des sampans sur un canal étroit. Ils rejoignaient enfin les « Treize Hongs », c’est-à-dire les 13 entrepôts des Cohongs, situés à l’extérieur des murs de la ville, où ils étaient confinés. Malgré moult obstacles, des restrictions et taxes changeantes, des rencontres avec les fameux pirates de Lintin (île à l’estuaire de la Rivière des Perles proche de Hong Kong et Shenzhen), des épidémies, des tempêtes, les négociants occidentaux voulaient accoster coûte que coûte, tant ce commerce avec la Chine du Sud était juteux.
Par exemple, les marchands britanniques vendaient l’opium importé de leur colonie indienne en contrebande pour contourner son bannissement du territoire chinois, par un décret dès 1729. Ils le troquaient contre des lingots d’argent, échangés à leur tour contre de la soie, de la porcelaine et du thé dont l’Angleterre était fort friande. D’environ 2.000 kg par an à la fin du 17ième siècle, les importations de thé vers la Grande Bretagne atteignirent 42 millions de kg en 1855! En désaccord concernant le trafic d’opium, les deux partenaires commerciaux entrèrent en guerre. Le Port au Parfum devint britannique en 1842 puis fut rétrocédé à la République Populaire de Chine le premier juillet 1997.
Au 19e siècle, Hong Kong qui n’abritait encore que quelques villages de pêcheurs et d’agriculteurs, n’en demeurait pas moins l’un des ports naturels les plus prometteurs de toute la région. Sa population de 3.000 à 4.000 habitants (à comparer à 7,5 millions environ aujourd’hui) s’enorgueillissait déjà d’une culture maritime et des affaires aiguisée, négociant matières premières, céramiques et poissons. Pour découvrir la suite de cette histoire portuaire fulgurante, le visiteur grimpe l’escalier qui conduit au Pont B (Deck B) du HKMS et entre dans la zone dédiée à la construction navale.
Se frayant un chemin au milieu de cette bibliothèque impressionnante de photos témoins de l’évolution constante de l’infrastructure portuaire, de la conception des navires et de leur utilisation, le pèlerin, mis dans la peau d’un marin hongkongais, constatera que la vie du Port au Parfum n’a jamais été un long fleuve tranquille. Balloté par diverses crises, Hong Kong a toujours su renaître, tel le Phénix. Aujourd’hui, la course à la modernité chinoise et internationale lui lance un nouveau défi, celui de naviguer « vert », sur une mer bleue et propre, autrement dit de virer de bord en vue d’une mutation radicale pour polluer le moins possible.
Par Edwige Murguet à Hong Kong
Accès à la description officielle de l’exposition
Sur le site de Keith Saht Le