Il faut imaginer un gars qui se rendrait à la perception du Trésor Public avec la prémonition d’un redressement sévère. Et qu’une fois l’amende signifiée par l’agent des impôts avec toute la neutralité requise, le contribuable repartirait en réprimant un fou-rire au risque de susciter à la sortie, un étonnement chez les passants. On peut aussi se figurer une personne brutalement plaquée par l’amour de sa vie et qui organiserait chez elle, le soir du matin de l’annonce, une fête à tout casser. Se tenir les côtes alors que l’on vient d’affronter une vraie contrariété, se marrer comme un bossu lors d’un sévère revers de fortune, voilà ce que l’on peut obtenir avec du rire synthétique, chose dont il est moins question en ce moment que l’intelligence artificielle. L’idée n’en est pas moins fascinante. Il se trouve que cette année, l’Inserm a publié en ce sens, le résultat d’une étude effectuée par deux chercheurs, ayant trouvé le moyen de substituer, plus sûrement qu’un anti-dépresseur, le bonheur au malheur. Que deviendrait l’art, la littérature ou le théâtre dans un monde exclusivement rigolo? Ne serait-ce finalement pas étrange que de rire à gorge déployée devant une Bérénice elle-même pliée en deux devant un amour contrarié? La tragédie de Racine aurait-elle encore un sens?
Les chercheurs ont utilisé une recette bien connue des teufeurs (fêtards) et des médecins œuvrant en bloc opératoire. Les premiers récupèrent en supermarché une cartouche de protoxyde d’azote destinée de prime abord à sortir de la chantilly d’un tube, les seconds font respirer le même gaz aux patients de façon à les détendre au-delà de ce qu’il est possible, afin d’effacer leur anxiété. Dans le premier cas c’est le fou-rire qui est recherché et obtenu, dans le second, le patient se laisse complètement aller au point de trouver beau tout ce qui l’entoure. Les fuites sont moins courantes que naguère mais les anecdotes d’une équipe de bloc opératoire terminant une journée de travail hilare ont maintes fois été racontées.
Si l’on en croit cette étude (1), il n’est pas impossible que le spleen de Baudelaire ou le cafard noir de Modigliani ne soit dû, en fin de compte, qu’à des perturbations au sein du « cortex cingulaire antérieur avec le précunéus ». Sachant que c’est aussi partiellement dans cette zone que se situerait, notre état de conscience. Ayant constitué un groupe de femmes dont une moitié était déprimée, l’autre non, ils leur ont fait respirer durant une heure un « mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote », le fameux Meopa utilisé dans les hôpitaux, la plupart du temps pour rassurer les enfants. Il s’en est ensuivi une rupture de déprime dans la moitié des cas sévères et même pour certaines, un retour apparemment solide vers une rémission complète. Au-delà des effets, les chercheurs ont donc pu observer via des systèmes d’imagerie modernes, la zone du cerveau ayant favorablement réagi. Le gaz avait simplement stoppé le dérèglement, éteint le foyer de l’incendie. Quant aux personnes en bonne santé mentale venues à fin de comparaison, elles ont dû passer un bon moment, accueillant avec une bonne humeur inédite ce surcroît de joie, au bénéfice de la science.
Tout cela est bien joli comme l’on dit d’ordinaire, mais si l’on finit par maîtriser les quartiers sujets aux dysfonctionnements du cerveau, tout comme l’on sait régler finement la combustion d’un moteur, vers quelle société irons-nous. Et concernant le monde culturel dont la production est consubstantielle aux états d’âme fluctuants, la question creuse un vertigineux précipice. Il est probable que Van Gogh, soumis aux vapeurs du Meopa aurait peint autre chose et ne se serait peut-être pas suicidé. Apollinaire n’aurait pas écrit sa « Chanson du mal aimé » et il aurait enchaîné les conquêtes passant avec un optimisme finalement étrange d’une femme à une autre.
Il y a un équilibre sociétal qui se construit sur la non-garantie du bonheur, faisant se côtoyer des gens gais et des gens tristes, si l’on met de côté bien sûr les éternels imperturbables et les génies détachés de tout. C’est ce mélange plus ou moins équilibré qui singularise l’humanité. Un rire cadencé moyennant le port d’un patch permanent dans une ambiance euphorique, ce serait, pour une fois et le terme est opportun, surréaliste.
PHB
« Mort de rire »*, plutôt que de déprime. Une belle fin ?
D’après le site Santé Magazine « Selon la légende, le philosophe grec, Chrysip, est le premier homme à être décédé des suites de sa propre blague. L’homme aurait commencé à s’étouffer de rire et, après quelques instants, a perdu connaissance et a fait un arrêt cardiaque, avant de finalement décéder. »
Bonne journée
* : pour les jeunes « MDR »
Chrysippe en bon français. Chrysip fleure bon la traduction automatique si l’article de Santé Magazine a été (mal) traduit de l’allemand où notre brave philosophe stoïcien répond au nom de Chrysipp.
Merci derechef pour cet article, cher Philippe. Nous serions donc à deux doigts d’inhaler ce gaz hilarant pour consentir à toute soumission dans l’entreprise ou n’importe quel lieu d’exploitation.
Il est la suite quasi logique de la méditation de pleine conscience au coeur du développement personnel… Sans pour autant inhaler les gaz du pot d’échappement, il siérait de respirer s’il se peut les fragrances de certains champignons, voire de les goûter. (On les retrouve dans les bouses de vache abandonnées au milieu des prairies).
Il reste une solution naturelle, des séances quotidiennes de yoga du rire.
Le corps ne fait pas la différence entre un rire spontané et un rire simulé.
C’est un antidote à la déprime…