La qualité de fabrique d’un bon reporter photographe, explique en substance la commissaire de l’exposition Riitta Raatikainen (1) sur l’œuvre de Caj Bremer, c’est que sa photo ne se contente pas de présenter une situation, elle la commente, via son choix et son style. Ouverte depuis le 27 octobre (jusqu’au 26 novembre) à l’Institut Finlandais, en face de la brasserie Balzar et à deux pas de la Sorbonne, cette rétrospective vaut la peine.
D’abord, entrer à l’Institut Finlandais, c’est déjà passer d’un seul coup de la rue des Ecoles à une antichambre de la péninsule nordique. C’est une expérience rafraîchissante au propre comme au figuré. L’exposition fondée sur le travail de Caj Brenner, caractérisée par de nombreuses photographies montrant notamment la Finlande des années 50, accentue ce dépaysement à vrai dire inattendu.
Caj Brenner, sorte de Cartier-Bresson finlandais au moins pour sa notoriété nationale, était présent au vernissage. A 82 ans, il dégage la réconfortante impression d’un jeune homme ayant juste un peu vieilli. Il est né suédophone (ou svécophone, parlant suédois) alors que la grande majorité des habitants sont finnophones ou finlandophones (au choix).
En 1957, Caj Bremer est entré au journal Viikkosanomat (disparu en 1975), périodique qui s’inspirait du prestigieux «Life» américain (fermé en 1972). Il travaille alors avec un Leica compact, bien pratique pour travailler dans la discrétion.
S’il fallait subjectivement discerner quelque chose de son vaste travail, on retiendra ses prises de vues entre flous et brumes. Cela tombe bien puisqu’elles tiennent une bonne part de l’exposition en cours. Ce bal de promotion universitaire pris en 1960 à Helsinki déborde le format documentaire pour entrer de plain-pied dans une poésie sensible. Un cortège officiel de Mercedes, une course indistincte d’élans au milieu d’un nulle part que l’on imagine forestier et lacustre ou encore une procession de bateaux figée dans une lumière de demi-jour et progressant dans un couloir d’eau cerné par la glace nous charment au sens ancien du mot. Nous ne sommes pas ici dans l’instant décisif propre à Cartier-Bresson mais davantage dans un univers où la photo de reportage ordinaire se mue en une peinture à l’esthétique insolite et un brin miraculeuse. «Efficace», tempèreront de leur côté les esprits sobres et froids.
Le beau livre-catalogue donne à penser sur l’étendue du talent de Bremer. Ses vues d’Helsinki et de la vie finlandaise dans son intimité familiale ont un charme irrésistible on l’a compris mais ses reportages en dehors du pays ou ses clichés de mode dénotent un professionnalisme dont le regard profite avec intérêt et plaisir c’est le moins que l’on puisse dire. Ce livre comporte à la fin quelques photos en couleur où là encore Caj Brenner nous fait grâce du principe assommant de la netteté à tout prix. La vibration particulière de son œuvre nous enchante. Elle nous réconcilie ainsi avec nos univers ordinaires dès lors que l’on comprend justement qu’ils ne le sont plus tout à fait.
(1) Journaliste et chercheuse en photographie.
PS: Photographe en finlandais se dit Valokuvaaja et Soirées de Paris (sauf erreur) Iltaisin Paris.
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