Bonjour Guillaume

Rien dans cette carte postale n’est banal. Datée de 1907, elle est adressée à Guillaume Apollinaire, et elle est signée Fernande Picasso. Plus connue sous le nom de Fernande Olivier, elle était la compagne de l’artiste. Dans son texte, elle réclame un livre prêté à Apollinaire par Léo Stein (frère de Gertrude) sur les sports au Japon. À charge pour le destinataire de faire le trajet dès réception, depuis le Vésinet, pour aller porter le mince objet à Paris. Cette carte inédite comporte au recto un dessin présentant Apollinaire en manteau rayé, avec un chapeau et un parapluie. Il est hautement probable que cette esquisse non attribuée soit de Picasso, comme une forme de signature amicale, mais le catalogue de vente ne le précise pas. Son lourd silence est cependant éloquent. Elle sera mise à l’encan le 22 octobre à Drouot (date reportée depuis), parmi un ensemble exceptionnel de correspondances, dont il ressort à maints endroits, la densité de l’amitié qui reliait Picasso à Apollinaire. Un événement rarissime par son contenu et qui devrait convoquer moult collectionneurs, de tous les coins du globe. Avec de belles bagarres à la clé.

La provenance de ces quelque quarante lots, est caractérisée par un cheminement parfaitement traçable. Ils ont d’abord été conservés par Apollinaire lui-même jusqu’à sa mort en 1918, puis par sa veuve Jacqueline jusqu’au décès de cette dernière en  1967. C’est le collectionneur et marchand d’art Bernard Poissonnier (1898-1993) qui a ensuite pris la charge de l’héritage. Qu’il a notamment dispersé à la Bibliothèque nationale et au musée Picasso, gardant par devers lui, quelques précieuses pépites. Qu’il a dû chérir du regard tous les jours de sa vie.

Si l’on additionne la totalité des mises à prix, l’ensemble vaut en théorie 200.000 euros. Mais il est bien probable que ce montant soit multiplié par deux ou trois à l’issue des enchères. Une lettre à sa mère, le brouillon et le manuscrit d’un de ses plus fameux poèmes, « La chanson du mal aimé », nécessiteraient déjà de vider son livret A. Ou encore le récit autographe de son séjour à la prison de la Santé, lorsqu’il fut faussement accusé d’avoir dérobé la Joconde. Il y raconte que la nuit sa cellule était éclairée, avec cette conclusion trahissant un amer cafard: « Et le matin avec le jour la lugubre lumière s’éteint. »

Ceux qui n’ont pas les moyens devront au moins se procurer le catalogue ou le télécharger afin de jouir du contenu complet, à défaut de palper les précieuses reliques. Surtout les courriers de Picasso, dont l’amitié vibrante ferait presque trembler le papier sur lequel il fait parfois semblant de se fâcher, en disant qu’il n’a plus des nouvelles de son ami et se plaint de ne plus en être aimé. On trouve ici des esquisses de l’artiste en vue d’illustrer le « Bestiaire » d’Apollinaire, mais ce sera finalement à Raoul Dufy qu’incombera cette tâche. L’ami est en tout cas partout, s’inquiétant par exemple d’une indisposition dont lui a parlé Marie Laurencin, la compagne d’Apollinaire.

Picasso n’est jamais en mal d’inspiration pour narrer ce qu’il fait depuis son séjour artistique à Céret (Pyrénées-Orientales), livrant aussi des anecdotes sur le poète Max Jacob, leur ami commun. « Bien à toi », « à toi », « mon cher ami« , les marques d’affection sont toujours présentes. On peut comprendre cette amitié entre ces deux hommes dont l’intelligence, l’inspiration, croisaient à la même altitude. Ils se recevaient sans interférences ce qui n’excluait pas, évidemment, les bonnes blagues et bien d’autres choses en partage, de celles qui raffermissent le lien. Quand Apollinaire est mort, Picasso a fait son autoportrait en état de sidération et quand lui-même a expiré en 1973, le médecin qui était à son chevet a dit que ses derniers mots avaient été pour Apollinaire. Lequel devait l’attendre au ciel de pied ferme avec son chapeau et son parapluie, juché sur un cumulonimbus haut comme un champignon atomique.

Et puis il y a ce lot 41, magnifique de simplicité. Il s’agit d’une carte postale partie d’Italie et présentant au recto l’hôtel Vittoria à Sorrente. Au verso, il y a le timbre, l’oblitération, le nom et l’adresse du destinataire. Mais surtout, il y a juste deux mots, suivis de la signature de Picasso. On peut y lire seulement « Bonjour Guillaume ». Cette pure manifestation d’affection, postée en 1917, dépourvue d’adverbes ou d’adjectifs, merveille de dépouillement, est donc à vendre.

PHB

« Guillaume Apollinaire et ses amis »/Mardi 22 octobre à 14h30, Drouot-Richelieu salle 12, 9 rue Drouot, 75009 Paris
Photos du catalogue: ©PHB
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4 réponses à Bonjour Guillaume

  1. Yves Brocard dit :

    Emouvante et étonnante vente. Magnifique catalogue.
    Ce serait dommage que cet ensemble soit dispersé, aux quatre coins de la planète. La BNF ou d’autres institutions (le musée Picasso ?) interviendront-elles, comme pour les manuscrits de Proust redécouverts, pour que cet ensemble reste en France, et dans un seul lieu ?
    Bonne journée

  2. Marie-Hélène Fauveau dit :

    Même demande que l’interlocuteur précédent…
    & l’accès à la salle 12 est-il libre ? ou faut-il se signaler ?
    & comment acheter le catalogue ?
    une néophyte
    merci pour les réponses

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