Pébrocs et pépins

Milan Kundera dans un de ses livres, racontait une anecdote autour d’Einstein, afin d’illustrer le rapport des hommes à leurs parapluies. Selon lui, le savant s’était fait interpeller par un étudiant alors qu’il donnait un cours à Prague, pour le prévenir que le temps était à la pluie et qu’il ferait mieux de sortir avec son pépin. Mais Einstein lui répondit en substance que par précaution il avait un parapluie chez lui et un autre à l’université. Et qu’il ne pouvait ce faisant, se permettre d’en avoir deux quelque part. Ayant dit, il sortit sous la pluie sans rien pour se protéger. Depuis le début de l’année il pleut, il a plu au printemps, cet été et l’automne débute sous les eaux, c’est dire si les intempéries sont d’actualité. On devrait se réjouir de cette météo davantage conforme au climat de l’Île-de-France mais ce serait politiquement imprudent. D’ailleurs la pluie aime Paris, Caillebotte en avait même fait un très joli tableau, un couple avec un grand parapluie, marchant sur un trottoir luisant du côté de Saint-Lazare. Derrière la vitre d’un taxi récemment, (ci-dessus) la dame au parapluie rouge entretenait en quelque sorte un mythe.

Il n’empêche que la question riflard est inusable dans la vie d’un humain, Parisien qui plus est. Chacun sait qu’il suffit de s’en équiper au sortir du foyer pour que les nuages se retiennent ou s’en aillent, mais que si on l’oublie, alors ils ouvriront les vannes. La météo a beau dire que l’on a deux heures de tranquillité sèche devant soi, l’accident n’est jamais loin, du crachin à l’orage en passant par la giboulée, nous ne comptons plus les moments où nous nous sommes fait avoir. Jusqu’à acheter une de ces choses à cinq euros avec seulement huit baleines dont la durée de vie ne dépasse pas au mieux la demi-journée. Il s’en vendrait dans le monde pour plus de cinq milliards de dollars par an, du modèle ecclésiastique aux spécimens multicolores jusqu’à ces grands modèles dont on se sert pour accueillir un chef d’État au sortir de sa voiture officielle.

La sagesse réside dans une dose de fatalité. Tel le sculpteur Alberto Giacometti saisi par le photographe Henri Cartier-Bresson un jour de 1961, rue d’Alésia, dans le 14e arrondissement de Paris. Il avait choisi ce jour-là,  ce que l’on peut être conduit à faire, il avait relevé son imperméable et s’en était coiffé comme d’une tente afin de se protéger de l’eau qui tombait dru. Réflexe qui n’est pas seulement humain puisqu’il a été observé que des primates comme les orangs-outangs, savent chercher la grande feuille qui les dispensera d’avoir le poil trempé. Mouillé, l’humain devient piteux et c’est presque un rituel pour une armée victorieuse que de laisser ses prisonniers méditer leur défaite sous la pluie. Et l’on ne peut aussi s’empêcher de penser à Humphrey Bogart dans le film Casablanca (1942), lorsqu’il attend en vain Ingrid Bergman sur un quai de gare sous une violente averse, lisant un message d’adieu dont l’encre se transforme rapidement en de noirs ruisseaux.

Le parapluie n’est pas un rare accessoire au cinéma, si l’on pense au film de Jacques Demy qui se passe à Cherbourg, ville qui se flatte par ailleurs de tester ses lourds pépins locaux en soufflerie, tellement précieux d’ailleurs, si chers, que l’on n’ose pas les sortir de peur de  les égarer et de les transformer en aubaine pour un passant chanceux.

Ils sont surtout là dans le but de nous protéger de l’eau qui choit, mais, avec ce climat qui change, on voit bien qu’ils servent aussi à préserver les peaux les plus fragiles d’un soleil brûlant. Le fait est encore rare, si bien qu’à Paris et en Bretagne, on ne confond pas le parapluie avec le parasol. Ce qui n’est pas sans rappeler à beaucoup un représentant célèbre qui faisait ses tournées commerciales en Renault 16 blanche et que l’on appelait Henri Serin, « eh oui comme un serin », disait-il à ses clients. Le personnage était interprété par Jean-Pierre Marielle dans « Les galettes de Pont-Aven », sorti en 1975, où l’on croisait aussi de merveilleux acteurs tous disparus comme Romain Bouteille, Bernard Fresson ou Claude Piéplu.

Henri Serin rêvait d’être peintre et un jour sans pluie, pas fait comme un autre, il laissa tomber le métier de marchand de parapluies pour s’acheter une palette, de la toile, un chevalet et mener une vie d’artiste. On peut même penser qu’il est possible de faire le chemin inverse et de quitter la peinture pour entamer un noviciat de représentant mais, sauf erreur, un tel scénario n’a pas encore été retenu par les producteurs.

PHB

Photos: ©PHB
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2 réponses à Pébrocs et pépins

  1. Passever dit :

    Belles photos, presque du Saul Leiter!

  2. Gilles Bridier dit :

    On pense aussi à « Singin’ in the rain », romance des plus parisiennes depuis la cérémonie d’ouverture de Paris 2024…

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