La ville aux trois musées

« Un futuro c’è stato », Il y a bien eu un futur, ainsi s’intitule l’exposition temporaire consacrée à Lucio Fontana (1859-1968) au Musée Soulages, mais cette belle expression peut s’appliquer à l’étonnante vie muséale qui caractérise Rodez. La préfecture de l’Aveyron, département rural s’il en est, a abrité des artistes comme des mécènes, qui reconnaissants ont participé à la création de trois musées, particulièrement bien dotés et dynamiques. Le plus ancien, inauguré en 1914, est né de la volonté du sculpteur Denys Puech (1854-1942) de créer un « sanctuaire de l’art aveyronnais » et pour cela a fait don à la ville d’un important fond de sculptures et de dessins. Dans son écrin très Beaux-arts, le musée (qui porte le nom du donateur) reste incontournable, notamment pour les gravures d’Eugène Viala (1859-1913) qui inlassablement a transfiguré les paysages ruthénois.
À quelques pas de là, le Musée Fenaille est installé dans un ancien hôtel particulier, don de l’industriel et collectionneur d’art Maurice Fenaille à la Société savante qui depuis 1837 réunissait des collections d’archéologie, d’art et d’histoire.

Inauguré en 1937, très bien rénové et modernisé depuis, le musée doit une partie de sa renommée à sa collection de statues-menhirs, un ensemble unique en Europe. Ces étonnantes sculptures, venues tout droit du néolithique pour réapparaître de-ci de-là dans la nature ont conservé à la fois leur mystère et leur force d’expression. Par qui, pourquoi, ces figures anthropomorphes ont-elles étaient créées ? Difficile, à l’instar de Pierre Soulages, de ne pas succomber à leur charme énigmatique et à la finesse de leurs traits de pierre. Mais cette année, elles partagent le musée, et la vedette, avec leurs « alter-ego » africaines. L’exposition temporaire, Éthiopie, la vallée des stèles, nous fait découvrir l’incroyable patrimoine de mégalithes, phalliques ou anthropomorphes, de cette région de la Corne de l’Afrique. Avec la recherche archéologique, toujours en cours, comme fil conducteur, c’est tout un univers artistique mais aussi culturel et spirituel qui nous est donné à voir. Africaines ou aveyronnaises, ces stèles partagent une mystérieuse beauté, mais engageront-elles le dialogue?

Encore quelques pas et voici le Musée Soulages. Le présente-t-on encore ? Inauguré en 2014, créé grâce à une donation exceptionnelle de l’artiste et de sa femme Colette, ses murs d’acier Corten, disputent à la cathédrale toute proche, l’image la plus forte de la ville. Enrichi depuis de nouvelles donations et de dépôts d‘œuvres de l’artiste, le musée est incontournable pour découvrir ou s’immerger encore et encore dans l’héritage de Pierre Soulages (1919-2022), pour le redécouvrir. On ne peut pas prétendre tout connaître d’une œuvre aussi vaste d’autant plus que le musée s’attache à faire bouger le regard par de nouveaux accrochages et par la confrontation avec d’autres artistes.

À l’occasion de ce dixième anniversaire on croise donc Les époux P et Jeanne Vicerial et dans une salle qui lui est consacré: Lucio Fontana. Ce dernier avait rencontré dès 1961 Pierre Soulages qui appréciait la singularité de son travail et encore en 2020, disait qu’il avait toute sa place dans son musée. Leurs recherches parallèles sur le temps et l’espace ont produit des œuvres a priori très différentes mais ont nourri un dialogue que le musée s’attache à nous restituer. Le travail de Fontana, très peu exposé en France en dehors de Paris, nous est montré dans toute sa diversité et notamment dans sa participation au renouvellement conceptuel de l’art, ce qui lui permettait d’affirmer: « Il y a bien eu un futur ». Des fameuses Attese (les fentes) aux Bucchi (les trous) en passant par les Concetti Spaziali (les œuvres de néon), les peintures, sculptures, céramiques donnent à voir 35 ans d’une carrière prolifique.

Cette déambulation dans Rodez, dans les pas de Pierre Soulages qui connaissait bien sa ville natale mais aussi les artistes que l’avaient précédé, y compris ceux du néolithique, permet d’approcher de plus près une des personnalités les plus marquantes de l’art des XXe et XXIe siècles. Les plus rétifs à « tout ce noir » ne peuvent pas rester indifférents à sa quête éternelle de la lumière qui le mènera à l’outrenoir en 1979. Quelle part ont eu les jeux de matière, de couleur et de lumière de la ville sur son travail, quelle influence ont eu les artistes qu’il a connu dès l’enfance, lui seul le savait. À nous de le ressentir et pour s’imprégner davantage de cet environnement exceptionnel, de prendre la route de Conques à quelques kilomètres de là, en compagnie de Pierre Soulages.

 

Marie-Françoise Laborde

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Une réponse à La ville aux trois musées

  1. Frédéric MAUREL dit :

    En tant que fils d’aveyronnais, j’ai eu l’occasion de les visiter plusieurs fois et, même si j’ai été moins marqué par le contenu du musée Puech, je peux témoigner que chacun de ces 3 musées vaut la visite… / FML

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