Six enquêtes de poche

Picasso n’a eu de cesse, en 1957, de harceler le mystère des « Ménines », œuvre due au peintre espagnol Diego Velasquez. Un documentaire passionnant de dix minutes, bientôt visible sur Arte, s’est attaqué au secret d’un personnage secondaire qui figure à droite de l’infante, quand on fait face à cette toile exécutée en 1656. C’est une naine, enano. Elle toise le visiteur sur cette toile célébrissime, fleuron des collections du Prado, à Madrid. Mais qui était-elle? En dix minutes chrono, cette enquête de poche nous dit tout. Elle s’appelait Marie Barbola. Sa présence s’inscrivait dans une mode européenne où les cours appréciaient la présence de nains. Il existait même un « vivier » à Saragosse, mais on se les procurait un peu partout. Sauf cette Marie Barbola venant d’Allemagne et qui fut invitée à y retourner quand elle eut cessé d’amuser la royauté. Tout cela peut paraître aussi lointain que honteux, mais le documentaire nous rappelle qu’en France, il a fallu attendre 1995 pour que le Conseil d’État valide une interdiction de confondre les nains avec des jouets.

Cette investigation en tout point captivante, s’inscrit au milieu de cinq autres (toujours de dix minutes) qui seront donc diffusées sur Arte à partir du 4 septembre. Réalisé par l’agence Capa, l’ensemble repose sur une idée simple: l’identification de personnages secondaires sur des toiles célèbres. Et les recherches sont opérées sur les mêmes bases: sonder les archives abondant sur Internet. Car en France ou en Espagne comme ailleurs, le goût administratif fait que tout a été longtemps répertorié, désormais numérisé. De ce point de vue-là, Internet est devenu une mine d’or.

En dix minutes chrono, pas moyen de s’ennuyer. Il s’agit là d’un vrai et bon travail journalistique, commenté par la voix off de l’actrice Sarah-Jane Sauvegrain, dont le timbre et la diction sont juste parfaits. Et nous voilà partis dès le premier épisode sur la piste de Zamor, le petit esclave offert à Jeanne du Barry, favorite de Louis XV et présent sur une peinture. Là aussi, c’était une mode et bien que l’esclavage soit alors interdit en France, il y avait encore des transactions. Et l’on peut voir défiler effaré des listes de prix selon l’âge, les capacités et l’état de la personne à vendre. Devenu adulte, Zamor dénoncera sa maîtresse qui finira à la guillotine, lui y échappera de peu et terminera sa vie peu ordinaire, dans la ruine et la solitude.

Impossible de lâcher aucun des six épisodes. Durant le visionnage, on arrondit souvent la bouche d’étonnement comme devant Farinelli, le castrat qui apparaît sur la toile peinte en 1756 par Francesco Battaglioli. La castration des petits garçons était là aussi une tendance, afin de sauvegarder leur voix féminine. Les meilleurs chirurgiens se trouvaient alors à Naples. Pour que l’opération ne soit pas douloureuse, on provoquait des syncopes en pressant la jugulaire. Et celui qui était encore un enfant, se retrouvait eunuque au réveil, bon pour chanter sa vie durant. Du moins s’il était bon. Dans le cas contraire, il était virtuellement classé pertes et profits. Le dernier castrat, Alessando Moneschi,  a été enregistré en 1902, on peut entendre son Ave maria.

Toujours à propos d’anesthésie, la série compte aussi un bien condamnable énergumène, figurant lui aussi sur une peinture et longtemps considéré comme le père de la gynécologie moderne. James Marion Sims, opérait au 19e siècle aux États-Unis. Il menait ses expérimentations sur des femmes noires sans utiliser d’anesthésique alors que des produits en ce sens existaient déjà. Il travailla aussi en France pour le compte de l’impératrice Eugénie et fut longtemps adulé en Amérique. Avant que la vérité ne fasse surface et que sa statue à New York soit retirée de son socle. L’expérimentation médicale sur la population noire a duré longtemps, au point qu’il a fallu attendre le président Bill Clinton, évoquant une honte pour l’Amérique et présentant des excuses officielles au nom de son pays.

Cette série documentaire, intitulée « Quelle histoire! », fait mouche à chaque coup. Comme l’histoire de la courtisane et femme de lettre Ninon de Lenclos que l’on voit en 1802 sur une œuvre de Nicolas-André Monsiau, au côté de Molière lisant “Tartuffe”. Une descente pleine d’enseignement, de sexe et de culture, autour d’un personnage-clé.

Et on ne saurait oublier non plus le dernier épisode, à la recherche d’un travesti allemand, seul échec de l’enquête à fin d’identification parfaite, même avec l’aide d’une intelligence artificielle sollicitée, sûre de son fait à seulement 80%. Il est tout de même probable que le personnage secondaire apparaissant sur un tableau de 1927 signé Christian Schad, fut bien celui qui fréquentait dans l’entre-deux-guerres en Allemagne, un cabaret berlinois très connu nommé l’Eldorado. Il fut fermé puis repris par les nazis pour en faire un genre de local politique. Aujourd’hui c’est un magasin bio, avec toujours la même enseigne. Incroyable histoire, sixième et dernière du genre.

PHB

« Quelle histoire! » Série documentaire (France, 2024, 6x10mn) – Réalisation : Noémie Mayaudon – Coproduction : ARTE France, CAPA Press. À compter du quatre septembre
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Une réponse à Six enquêtes de poche

  1. Dupuis Bernard dit :

    Quelle belle et bonne chronique ! Qui après l’avoir lue pourrait envisager de ne pas être assis devant son récepteur TV aux heures indiquées ?

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