Colette et les liens de soie

Dans sa biographie réputée (à juste titre) de Colette, le journaliste Herbert Lottman (1), passe néanmoins très vite, sur un détail qui n’en est pas un. En quelques lignes seulement, il raconte qu’en 1925, Colette revenue de Saint-Tropez, apprit qu’un admirateur inconnu avait racheté sa maison de Saint-Sauveur-en-Puisaye. Celle qu’elle avait dû quitter avec sa famille, déboires financiers aidant, à l’âge de dix-huit ans. Une maison à laquelle elle tenait tellement, qu’elle était comme l’ombre portée de son stylographe, en filigrane de tous ses pleins et déliés. Herbert Lottman évoque l’acquéreur comme un « négociant en soieries », puis passe à autre chose. Cette bienheureuse intervention, elle en fit part dans une interview donnée aux Nouvelles Littéraires en 1926. Le bienfaiteur se nommait François Ducharne, il avait créé des soieries à son nom à Lyon, avec une usine dans les environs, ainsi qu’un atelier à Paris. Visiblement des liens de « soie » furent de la sorte établis entre l’industriel et l’écrivain, une amitié dont on retrouve une trace substantielle en 1927, dans La Revue de la Femme, magazine plutôt chic de l’entre-deux-guerres.

Invitée dans l’usine de Neuville-sur-Saône, Colette s’y était rendue en compagnie d’une actrice célèbre à l’époque, Andrée Spinelly (1887-1966). Connue pour se produire dans des comédies « légères » et qui fut l’amante de Jules Auguste Muraire, dit Raimu (1883-1946). Dans un article d’une page, elle laisse filer sa belle écriture afin de décrire les lieux, avec une verve tellement riche en couleurs qu’elle dissimule heureusement le brin de complaisance de l’ensemble. Mais Colette s’amuse de tout ce qui fait qu’elle embarque le lecteur facilement, en laissant tout aspect moral à quai.

« Spectatrice égoïste, narre-t-elle ainsi, j’eus ce jour-là le spectacle de Spi lâchée à travers les plus beaux tissus du monde. Spi et son petit costume tailleur vert, la veste au ras des reins, la jupe au ras du genou. Spi bientôt sans jupe ni veste, mais roulée dans un rais de lune argent et violet, dans une averse de pluie d’été, qu’entrouvraient des feux sourds rouges et bleus, Spi dansant sous un vol de tulipes à cornes de diables, suspendues sur un bleu d’abîme… Spi drapée et peinte -de ses pieds parlants à sa fringante épaule- d’une soierie féroce, tachetée comme une murène, etc.etc. » Colette rendait ainsi mine de rien la monnaie de sa pièce à François Ducharne, celui qui l’avait si bien comblée en rachetant ce qu’elle avait de plus précieux, la maison de Saint-Sauveur-en-Puisaye.

Flamboyant texte, réfutant à l’avance et d’une certaine façon, toute accusation de publireportage: Colette s’en était donnée à cœur joie, évoquant les « machines-fée » et leurs 12.000 « fils d’or d’une harpe arachnéenne (…) qui créaient, trémulants de leur vie électrique, une onde illusoire où jouaient les poissons-navettes véloces, lancés, relancés par le déclic rageur de la meilleure machine, la plus intelligente, la plus rapide, la plus intolérante à l’homme… » , car le métier électro-mécanique travaillait tout seul, laissant éclore toute une variation de motifs. Le regard de Colette allait ainsi des machines à « l’orgie d’étoffes » où s’abandonnait Spinelly, dont le rire émouvait jusqu’à ses reins, du moins à en croire la narratrice, celle qui menait sa plume à grandes guides, sans oublier de citer le nom de son mécène à intervalles réguliers.

Plus ou moins officiellement, Colette n’hésitait pas à améliorer ses fins de mois en vantant tout à la fois son talent et sa renommée. Faisant de la publicité pour les cigarettes Lucky Strike (It’s toasted), les vins Nicolas ou pour les soieries Ducharne et cette fois sans défaut de dissimulation. Pas trop de complexes à avoir en cette année 1927 où fut inventé le prix Beaumarchais de littérature publicitaire. Dans le jury figurait d’ailleurs Madame Couchoux, directrice de la Revue de la Femme. Colette faisait partie de la sélection pour les Soieries Ducharne, mais c’est le journaliste du Figaro James de Coquet, qui gagna les 20.000 francs à partir d’un texte vantant les tissus Rodier. C’est le site The Conversation qui racontait en 2017 dans ses colonnes, l’histoire de ce prix édifiant, en partenariat avec la BnF (2). Avec une citation fort à propos de Fernand Divoire (ami d’Apollinaire) qui prétendait que l’art s’abaissait en « devenant un boniment ». Il n’avait pas tout à fait tort, mais on pouvait de toute évidence, compter de fameuses exceptions.

 

PHB

(1) « Colette », Herbert Lottman, Fayard
(2) L’article publié dans The Conversation

 

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2 réponses à Colette et les liens de soie

  1. Brillant article !
    Merci !

  2. LISE BLOCH MORHANGE dit :

    D’après mes souvenirs recueillis sur place à Saint-Sauveur-en-Puisaye, le soyeux Francois Ducharne avait acheté la maison de Colette pour lui en faire cadeau, mais toujours à court d’argent, elle la mit en location pour en tirer quelque profit. La réalité et le mythe ne s’accordent pas toujours…

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