Des vignes, des oiseaux, des chats et des poissons

Apollinaire y avait décelé de la littérature nouvelle. Il s’était en l’occurrence si peu trompé, dans la mesure où l’écriture de Colette pourrait en remontrer à tant de plumes actuelles. C’était en 1908 et l’écrivain associait encore le nom de son mari -Willy- sur la couverture. Le recueil s’intitulait « Les vrilles de la vigne ». Elle lui avait donné ce titre eu égard à un rossignol qui s’était imprudemment posé pour la nuit sur une vigne. Dont les pousses -les vrilles-, s’étaient si bien entortillées autour de ses pattes au fil des heures, qu’elles avaient presque piégé l’oiseau. Colette a vu dans cet incident matière à comparaison avec sa propre existence. Elle admettait que ses nuits n’étaient plus forcément sereines, mais que les vrilles de la vigne, n’avaient désormais plus prise sur elle. Cette première histoire faisait effectivement figure de parabole dans la mesure où l’écrivain n’avait eu de cesse de s’émanciper et de contrôler ceux, (femmes, hommes, bêtes) qui se seraient mis en tête de l’envelopper dans leurs filets.

Ceux-là mêmes d’ailleurs dont elle fait le centre de certains de ses contes. Fascinantes petites histoires, qu’elle hisse bien haut grâce à sa plume semblant si bien s’amuser que le lecteur ne décèle pas le travail sans doute important qui précède le résultat. Dans « Le jour gris », elle écrit à quelqu’un qui s’affaire autour d’elle. En lui narrant son appartenance au pays de son enfance qu’elle a quitté et dont moult parfums lui sont restés en mémoire, de la rose jusqu’à la pomme trop mûre chue au pied du tronc. Un paradis ou tout au moins son antichambre puisqu’elle parle ainsi: « Écoute encore, donne tes mains dans les miennes: si tu suivais, dans mon pays, un petit chemin que je connais, jaune et bordé de digitales d’un rose brûlant, tu croirais gravir le sentier enchanté qui mène hors de la vie… » Itinéraire céleste qu’emprunta sans doute Colette, voici soixante-dix ans, après avoir ingurgité un dernier bouillon de légumes, dans son fief parisien bordant les jardins du Palais Royal.

Elle y revient sans cesse, au fil des pages, à sa campagne profonde. Par exemple quand elle décrit sa chatte, épiant des yeux et des oreilles, le matou prédateur rôdant au loin à la recherche d’une femelle à prendre. Mâle à qui elle donne la parole avec un ton terrible, voilé de menaces: « Je marche à la manière des loups, le train de derrière bas, suivi d’un tronçon de queue presque chauve… Mes flancs vides se touchent et ma peau glisse autour de mes muscles secs, entraînés au rapt et au viol… » Colette se laisse fasciner par les rites sauvages. En écrivain de théâtre, elle fait parler le voyou félin prêt à fondre: « Mes dents courberont ta nuque rétive, je souillerai ta robe, je t’infligerai autant de morsures que de caresses, j’abolirai en toi le souvenir de ta demeure et tu seras, pendant des jours et des nuits, ma sauvage compagne hurlante… ». Colette parle cru.

Mais avec quelle inspiration, ainsi quand elle dresse le portrait d’une chanteuse, dont elle dépeint le visage avec des « lèvres inégales, fendues à la diable par un canif distrait ». Il y a quelque chose de redoutable chez elle, quand elle troque son stylographe pour un fleuret, dont elle prend évidemment soin d’ôter la mouche. Les estafilades qu’elle occasionnait de la sorte, devaient être au moins cuisantes jusqu’au lendemain.

Dans les « Vrilles de la vigne » elle consacre aussi un bien bon chapitre à la Baie de Somme où elle séjourna, notamment au Crotoy. Et ce vendredi particulier où son amie Marthe emmena tout un petit groupe pêcher à la main des carrelets et des limandes, dans ce paysage si singulier où à marée basse, tout se confond dans un même miroir, ciel, mer et sable. La mer là-bas quand elle se retire, disparaît littéralement. Jusqu’au moment « où une langue froide, insinuée entre vos orteils, vous arrache un cri nerveux: la mer est là, toute plate, elle a couvert ses vingt kilomètres de plage avec une vitesse silencieuse de serpent. Avant qu’on l’ait prévue, elle a déjà mouillé le livre, noirci la jupe blanche (…), cinq minutes encore, et la voilà qui bat le mur de la terrasse, d’un flac-flac doux et rapide, d’un mouvement soumis et content de chienne qui remue la queue… »

Ce jour-là, ils avaient ramassé tellement de poissons et de crevettes qu’il y en avait pour cinquante livres. Et que tout sentait le produit de la pêche, la peau, les vêtements, le cigare que mâchonne un des participants. Tout devait se terminer par un repas en conséquence. Mais en fin de compte, cette abondance fit vociférer Marthe à l’adresse de la cuisinière: « Et pendant une semaine je vous défends de servir autre chose que des œufs à la coque et du poulet rôti! »

Rien de tel que la bonne fatigue qu’une partie de pêche, celle-là qui imprègne aussi le lecteur au terme du récit. Instinctivement on cherche du regard un rince-doigt.

PHB

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Une réponse à Des vignes, des oiseaux, des chats et des poissons

  1. Jacques Ibanès dit :

    Pour prolonger cette belle évocation, je signale la lecture de « Dialogues de bêtes » par Catherine Sauvage (qui portait bien son nom) sur France Culture. Trente minutes de haute réjouissance !

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