Mise au point cardinale

Il serait presque réconfortant de savoir précisément où l’on se trouve et même où l’on perche, pour le dire comme un vieux parigot. Nos téléphones améliorés le disent. Au moment-même où ces mots sont écrits, le tableau de bord indique 110 mètres d’altitude, un nord plutôt à droite et un sud plutôt à gauche. Cependant qu’il suffit de pivoter d’un quart de tour pour que le nord passe en face et que le sud transite sur l’arrière. À noter qu’en ces temps pour le moins ambigus, il est également agréable de noter que celui qui s’inquiète est toujours au centre. Ce pourquoi il faut garder les points cardinaux à l’œil tant celui que l’on avait fixé sur sa droite est passé d’un seul coup à gauche et réciproquement. L’on dit souvent qu’il faut remettre l’église au centre du village, ce n’est pas toujours commode dans une approche relative, mais il faut savoir qu’ailleurs, en orient, le centre c’est soi-même et ce n’est pas pour rien que l’on évoque l’empire du milieu alors qu’il est clairement à l’est. C’est le cinquième point cardinal et il faudrait dit-on en ajouter deux autres avec le haut et le bas, comme sur les cartons de déménagement.

Les bons smartphones sont donc équipés d’une boussole alors que tout le monde s’en fiche à part ceux qui vérifient l’orientation de leur futur appartement. Les satellites sollicités savent précisément où nous sommes (pas forcément où nous en sommes), nous leur faisons une confiance aveugle pour aller d’un point de Paris à un autre, au point que le fameux sens de l’orientation a tendance à se dissoudre avec le reste. Interroger un quidam en train de consulter ses messages sur une localisation quelconque risque de le faire sursauter. Et pire, l’interroger sur l’ouest afin d’aller par exemple vers l’Arc de Triomphe lorsque l’on se trouve à Bastille (question pourtant facile), peut l’amener à solliciter un agent pour propos confus avec soupçon d’une action mal intentionnée.

Il n’est pas recommandé de donner la permission à son téléphone de communiquer à la virgule près sa position. Savoir que vous êtes à la piscine au lieu de méditer dans un isoloir peut occasionner une pluie de reproches pour celui qui vous traque et si vous êtes quelqu’un d’important voire très important, cela peut donner des idées de géo-guidage à un artilleur démangé par l’envie d’essayer son nouveau missile de croisière lequel au passage, n’a rien à voir avec la plaisance. Et cela n’arriverait pas avec une simple boussole dans la poche.

Parler de boussole en ce moment, on aura bien compris la finesse de l’allusion. La ficelle est épaisse mais  l’idée qu’elle contient n’est pas périmée. On n’a pas forcément honte à se dire déboussolés et chaque personne qui prétend encore savoir définir, fixer et garder son cap suscite une muette admiration. Au moins savent-ils où ils vont ou en donnent-ils l’illusion. Les pros ont dans leur agenda des impératifs sérieux, comme l’heure de la collation du midi, celle du soir et l’adresse précise du coup à boire. L’aiguille de leur boussole n’est pas gênée par l’opacité de l’eau anisée. La remarque est très figurative et si l’on parle souvent de boussole intérieure, c’est que l’on sait parfaitement ce qui nous guide entre la partie de poker du samedi soir et le tapis vert du bureau de vote.

Tout cela c’est histoire de rire, au moins de sourire. Si l’on en juge par le baromètre du téléphone -encore un instrument embarqué-, la météo aujourd’hui, au-dessus des Soirées de Paris, prévoit un maximum de 22 degrés Celsius, un risque de précipitations nul, une « bonne brise » avec quelques suppléments de vent frais selon la terminologie Beaufort, et dans les mille hectopascals pour la pression, soit environ dix tonnes d’atmosphère au-dessus du mètre carré où l’on se trouvera. De quoi marcher voûté sauf pour ceux qui ont conservé une colonne vertébrale en bon état, encore une allusion d’actualité. Invertébrés, les lombrics restent à l’abri, ils nous survivront.

PHB

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