Bleue

Il a été beaucoup question de sport cette année, et incidemment de saut à la perche, discipline pour le moins excentrique. Aidés par cette barre flexible, les meilleurs dépassent couramment six mètres de hauteur. Il paraît que le genre remonte à loin, comme un procédé antique destiné à franchir certains obstacles comme la largeur d’une rivière. S’ils allaient sur Neptune, les réputés valeureux perchistes, iraient à coup sûr trois fois plus haut grâce à une densité atmosphérique trois fois moindre que sur Terre. Mais l’hypothèse est farfelue tellement cette planète géante est éloignée de la Terre. Galilée l’avait observée sans y prêter particulièrement attention ayant sans doute les idées ailleurs. Il a fallu attendre le 19e siècle pour que le Français Urbain Le Verrier en calcule la présence, en fonction des variations étranges que sa gravité occasionnait à Uranus. Après quelques disputes dont les scientifiques sont coutumiers, elle fut baptisée Neptune, mais de loin. Une fois seulement, un engin conçu par les humains, la survola. En 1989 en effet, Voyager 2 réalisa ce cliché extraordinaire (ci-dessus), que la Nasa tient aimablement à notre disposition.

Et trente ans plus tard, c’est d’une certaine façon grâce à un cinéaste que nous avons pu la voir de près. Le réalisateur James Gray nous avait embarqués en 2019 pour un voyage spatial de près de neuf milliards de kilomètres, en compagnie de Brad Pitt (1) et accessoirement de Tommy Lee Jones sans compter Donald Sutherland, emporté pour de bon, au début de l’été, par le vent des galaxies.

On sait, depuis que des engins se sont posés çà et là dans le système solaire, d’un astéroïde moche comme un caillou à la planète Mars, qu’ailleurs est loin et en plus invivable. Ce qui fait dire aux Terriens éclairés qu’il n’existe pas de plan B et que nous devons prendre soin de l’unique astre adapté à notre système respiratoire. C’est là un point un peu désespérant quand tout a un peu tendance à se détraquer et que la fête des voisins vire chaque année au cauchemar: on peut changer de quartier, de ville ou de pays, mais pas de planète. Chaque exploration spatiale, chaque observation de nos meilleurs télescopes, n’ont en rien détecté quelque chose qui ressemblerait à un pré planté de pommiers et d’une rivière poissonneuse. Tout départ au-delà de notre influence gravitationnelle, requiert le port d’une combinaison spéciale et de bas de contention, ce qui est en soi assez louche. Notre méfiance se doit de rester en éveil passé une certaine altitude.

Le gros avantage de Neptune est de rester mystérieuse. Nimbée dans un bleu translucide dont on ne peut que supputer la cause: on croit seulement savoir qu’elle serait garnie de roches et de beaucoup de glace vu son éloignement du soleil. Ce qui signifie d’ailleurs qu’en plus de la combinaison anti-tout, il sera toujours bon de prévoir quelques pulls de rechange et de pantalons épais. Sans compter de bonnes bottes en caoutchouc, car la grosse chaleur interne, compensant le manque de rayons solaires, pourrait générer quelques flaques d’ammoniaque avec leurs émanations irritantes. Dernier détail, au vu que les vents croisent là-bas à mach 2, n’oubliez pas votre coupe-vent, un bon, comme en trouve facilement en Bretagne.

En vrai, c’est justement parce que l’on ne sait pas bien encore de quoi le plancher des vaches sur place est fait, qu’elle nous fait encore rêver. Ce serait étonnant qu’il y ait des vaches, c’est une façon de parler entre nous, mais rien n’est théoriquement impossible. C’est le mauvais côté de la science que de déflorer les mystères. Si bien que nos pensées doivent toujours aller plus loin, poursuivis que nous sommes par les voisins, les collègues du bureau, les fabricants du prêt-à-penser, le fisc, l’assurance sociale et les militants d’obédiences variées.

Laissez donc les poètes survoler les vallées de Neptune, laissez-leur pour alliances les anneaux de Saturne et ceux de Jupiter, et enfin, laissez les atteindre la mélancolie saturnienne, comme savait le faire Verlaine, avec seulement deux doigts de fraîche absinthe.

PHB

Sources images: Nasa
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2 réponses à Bleue

  1. Marie J dit :

    Bleu neptune : une couleur qui réveille joliment un matin gris

  2. Gilles Bridier dit :

    … mais comme jamais aucun perchiste même olympique ne s’est élancé vers le sautoir bottes aux pieds et coupe-vent sur les épaules, on ne peut pas savoir si Neptune serait vraiment inaccessible à l’illuminé poète convaincu de pouvoir saisir l’astre du bout des doigts. Pierrot y parvint bien lui-même avec la Lune, plus proche il est vrai.

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