La narine de Dieu

Le mois dernier, l’indiscret télescope James Webb en suspension dans l’espace lointain, a détecté une collision censée s’être produite 740 millions d’années après la naissance de l’univers, soit très longtemps avant le percement de l’avenue de Rivoli, également riche en incidents de circulation. Et comme tout le monde désormais, que cela se passe à 1,5 million de kilomètres ou dans l’axe Concorde-Châtelet, le télescope prend des photos. Sauf que celles que nous postons sur Internet plongent très peu dans le passé alors qu’en millions d’années, sapristi quel cliché. Quand Nicolas Copernic, à 24 ans, repéra l’occultation de l’étoile Aldébaran par la Lune, le 9 mars 1497, c’était déjà un exploit. Mais au rythme où vont les choses, l’œil perçant de nos jumelles de théâtre bodybuildées crèvera encore d’autres mystères et, d’années-lumières en années-lumières qui sait, il surprendra peut-être un jour la narine de Dieu, au moment pile où il s’apprêtait, le doigt dans son orifice nasal, à faire sauter le bouchon du big bang.

Beau métier quand même que celui d’astronome qui n’est pas sans ressembler quelque peu à celui d’archiviste vu la masse de renseignements que l’on remonte en ce moment des couloirs célestes et des dossiers que l’on y dépend de leurs tringles étincelantes. Georges Courteline, (1858-1929) avait écrit quelque chose là-dessus que l’on pourrait fort bien appliquer au quotidien des astronomes en remplaçant quelques mots: « Libre de nager, de patauger, de s’ébattre en une pleine mer de documents officiels, de débats jurisprudentiels, de rapports administratifs accumulés les uns sur les autres depuis les premiers âges de la direction, il passait d’exquises journées à galoper de son cabinet aux archives où il s’éternisait inexplicablement » (1).

Puisque plus tard, selon certains, nous serons aux cieux dans la béatitude promise, les astronomes figureront parmi les moins dépaysés. Nous stationnerons si loin que nous ne pourrons pas faire signe à nos proches restés scotchés place du Palais Royal. C’est bien là l’un de nos grands problèmes et l’un de nos grands chagrins alors que la sonde Voyager 1, lancée en 1977, continue (elle) de nous envoyer ses données depuis une distance littéralement sidérante. La chance. Dommage qu’elle ne soit pas une cabine téléphonique.

Quelques artistes ont su pressentir avec leur conscience hors normes, dans quels décors nous évoluerons alors. Tel le dessinateur Moebius (Jean Giraud, 1938-2012) qui fait actuellement l’affiche d’une exposition sur la BD à Beaubourg. Il avait de toute évidence réussi à décapsuler quelques accès décrits comme inviolables, ce qui fait qu’il a pu coucher sur le papier des images stupéfiantes comme celle de deux jeunes gens circulant en traction Citroën V6 sur des astéroïdes aux couleurs nouvelles ou encore, dépassant la fameuse toile « Nighthawks » d’Edward Hopper, avec un drôle de gars assommé de solitude dans un bar désert nimbé d’une lumière orangée sur une planète hors étagère. Il est tout de même intéressant de noter que tous ces artistes ou écrivains ont été estampillés « d’anticipation ». Souvent par ceux-là mêmes qui croient savoir qu’après notre dernier battement de cœur il n’y a plus rien. C’est là ce qu’il convient d’appeler un acte manqué. Et les artistes resteront les plus forts.

En attendant, concernant la narine de Dieu, nous approchons. Car l’exploit visuel relaté en début de cette chronique a déjà été crevé, toujours par le même instrument dont le prix semble en fin de compte correctement amorti vu le nombre de trophées qu’il collectionne. Bien sûr nous sommes obligés de croire les scientifiques sur parole, mais enfin dans le fouillis stellaire, a été repérée cette année la « z = 13.2 of JADES-GS-z13-0 », une galaxie réputée n’être apparue que 290 millions d’années après le big bang et donc bien avant nos premières feuilles d’impôts.

Ce sont peut-être les successeurs de James Webb, Nancy-Grace-Roman  et l’incroyablement nommé Habitable Worlds Observatory (HWO) qui finiront le job consistant à remonter le fil du temps jusqu’au point zéro du chronomètre. Un niveau que l’on réservera aux esprits les plus stables, les mieux préparés. Comme dans « 2001 l’odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick, où l’impavide astronaute finit par débarquer dans ce qui ressemble à une suite d’hôtel muette et sans vie. Nous avons toujours besoin de matérialiser l’impensable, c’est chez nous êtres humains, notre travers indécrottable.

PHB

(1) Courteline, « Messieurs les ronds-de-cuir »
Photo d’ouverture: ©PHB
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2 réponses à La narine de Dieu

  1. Oui, par les temps qui courent, il est bon de mettre un peu le nez hors et loin de Paris !

  2. Gilles Bridier dit :

    Il y a effectivement une porte au métro Châtelet, découverte par le père de Valérian, qui a permis le passage du télescope James Webb pour devenir nos yeux dans ce voyage intersidéral. On est prié de la fermer derrière soi pour éviter toute chute intempestive dans un espace où l’on perd vite le sens du chemin du retour.

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