Le retour du printemps est propice à une partie de campagne dans le 19e arrondissement. Car qu’on l’imagine ou non, il existe une enclave bucolique dans le tumultueux 19e hérissé de tours! Notre promenade aura pour point de départ le quartier de la Mouzaïa, un entrelacs de ruelles pavées (les villas) parsemées de petites maisons colorées aux jardins fleuris. Après un crochet par l’ «exotique» église Saint-Serge (ci-contre), elle aboutira aux Buttes-Chaumont. C’est à cause de ses anciennes carrières de gypse (pierre à plâtre) que ce petit territoire difficilement constructible a changé de physionomie après 1860. Déjà exploitées par les Romains, ces carrières, situées principalement dans les 18e, 19e et 20e arrondissements, occupaient autrefois 65 hectares. Celles du 19e arrondissement se concentraient dans le quartier d’Amérique soit à gros traits entre l’avenue Jean Jaurès, la rue de Crimée, la rue de Belleville et le boulevard périphérique. Le plâtre de Paris, d’excellente qualité, était non seulement destiné aux constructions de la ville mais se vendait aussi ailleurs. Une légende veut qu’il ait été exporté jusqu’en Amérique, d’où le nom du Quartier d’Amérique. Légende, réalité ? Quoi qu’il en soit l’exploitation des carrières de Paris a cessé après l’effondrement de maisons. La carrière d’Amérique, qui a été l’une des dernières en activité car le quartier n’était pas loti, ferme en 1872.
Un projet de création d’un nouveau marché aux chevaux et fourrages naît alors, en 1875, sur le terrain de la carrière d’Amérique. Un partenariat public-privé est créé entre la société d’exploitation des carrières qui cède une partie des terrains à la ville de Paris et cette dernière. La Ville aménage les rues autour de l’actuelle place du Danube et la société construit les marchés aux chevaux et fourrages, inaugurés en octobre 1878. L’échec est cinglant! la Société est mise en liquidation en aout 1879. Le nouveau marché, placé dans un endroit désert, n’a pas pu lutter contre la concurrence des autres marchés aux chevaux parisiens. Reste à rembourser les emprunts contractés. Ce sera fait en cédant la plupart des terrains aux deux principaux créanciers.
C’est ainsi que débute l’urbanisation des Carrières d’Amérique avec la construction des villas de la Mouzaïa, le quartier aux venelles fleuries et de sa rue éponyme. Son nom -et, ce n’est pas une légende- vient de la bataille de Mouzaïa, remportée par les Français en Algérie en 1840. La Mouzaïa compte environ 250 petites maisons construites entre 1880 et 1920 selon des normes strictes en raison de l’instabilité du terrain. Quatre types de maisons à un seul étage sont bâties. Les plus petites ont une largeur de 4m sur 8,45m de profondeur. Et les plus grandes, de 6,5m de largeur sur 13,75m. Pour leur sécurité, elles doivent être précédées d’une bande de 4 à 8 m de terrain non constructible sur ruelle, devenue le jardin. C’est ainsi que le bucolique quartier de la Mouzaïa a vu le jour et a gardé son charme irrésistible.
Près de là, au 93 rue de Crimée, une allée en terre bifurque pour cacher un autre éden, invisible de la rue, où le temps s’est arrêté. Derrière une maison de poupée qu’on croirait issue d’un conte russe, un sentier étroit s’élève parmi les arbres et les fleurs pour mener à Saint-Serge, une petite église orthodoxe de toute beauté. Elle est flanquée d’un porche gracieux ajouré en bois, enluminé de peintures de saints. Feu d’artifice à l’intérieur: les murs et le plafond sont couverts de fresques éclatantes et d’icônes précieuses aux cadres d’argent. Avant de devenir une église orthodoxe, Saint-Serge était un temple protestant austère. La colline Saint-Serge, un terrassement formé à partir du creusement des Buttes Chaumont, était devenue, au milieu du XIXe, la propriété d’une mission protestante allemande qui y édifia des maisons et le temple. Mise sous séquestre en 1914, guerre oblige, elle fut ensuite vendue en 1924 à l’Église orthodoxe russe en Europe. Ainsi, d’un coup de baguette sacerdotale, le remblai des Buttes-Chaumont est devenu un petit paradis orthodoxe parisien.
Voisin de St-Serge, le parc des Buttes-Chaumont est le jardin le plus escarpé de Paris. La carrière de gypse à ciel ouvert de la Butte-Chaumont, exploitée après la Révolution, s’élevait à 45 mètres de hauteur. Après sa fermeture en 1860, Napoléon III décide de la transformer en jardin. Les travaux herculéens commencent en 1864 et durent trois ans. La roche est dynamitée et le terrassement nécessite 1000 ouvriers, 100 chevaux, 450 wagonnets sur 39 km de rails, des milliers de tonnes de terre… En avril 1867, le jardin, chef-d’œuvre de l’art paysager, est inauguré à l’occasion de l’exposition universelle de Paris. Si on ne s’extasie plus aujourd’hui, devant les essences d’arbres exotiques qu’il abrite -dont un platane d’Orient de 6,35 m de circonférence, un févier d’Amérique, deux ginkgos biloba, un Orme de Sibérie- ce parc romantique, avec son île au milieu d’un lac, attire toujours les foules.
Lottie Brickert
Merci beaucoup Lottie, pour cette nouvelle balade exotique et poétique en plein Paris. Pour ses longues séquences dans le parc enchanteur des Buttes-Chaumont, je conseille de voir ou revoir le film de Rohmer « La femme de l’aviateur ».
Une jolie et vivante description de ce quartier auquel je suis attachée.. Qui a évolué au cours des siècles. Autrefois, sur le sur les pentes qui ont servi à la construction du Parc des Buttes Chaumont on pendait des malfrats. Les petites maisons du quartier Mouzaia, habitées jadis par les ouvriers, sont très convoitées. Comme la rue du général Brunet.
On est aussi très près du Parc de la Villette. Mais ceci est une autre histoire…
Encore merci pour cette suggestion de promenade champêtre en plein Paris…
Le gibet de Montfaucon se trouvait plus bas, vers l’actuelle place du Colonel Fabien.
Sans oublier les visites du « Paysan de Paris » et la « Dame des Buttes Chaumont »…