Chaque année bissextile, depuis 1896, se déroulent les Jeux Olympiques d’été, apothéose de la compétition sportive mondiale. Les anthropologues l’ont rapidement repéré: par son goût de la confrontation inutile, le primate humain se différencie de la bête. Et ce, dès sa prime enfance. Avant même d’avoir reçu les premiers rudiments d’éducation, depuis les temps les plus reculés, les petits garçons se mesurent entre eux pour établir « lequel qu’a la plus longue ». Les Jeux Olympiques découlent directement de cet esprit de rivalité instinctive. À cet apport près qu’à partir de 1900, aux jeux de Paris, les filles ont pu aussi participer. Certes, Pierre de Coubertin, rénovateur des Jeux contemporains estimait que leur rôle devait se borner à remettre les récompenses aux vainqueurs. Mais, depuis 2004, le Comité International Olympique ne craint pas de promouvoir, dans le sport, le principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Cependant, l’étude de la pratique des nations ne laisse, sur ce point, aucun doute: les Jeux Olympiques placent le concours de bite dans les plus hautes sphères de la diplomatie internationale. L’histoire récente illustre amplement ce constat.
Au moment de la « guerre froide », à chaque olympiade, la suprématie du « camp du progrès » ou celle du « monde libre » s’évaluaient très exactement à l’aune du nombre de trophées gagnés par l’URSS ou les USA. Ce même si la Charte de l’Olympisme proscrit (1) « toute sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale ». Dans un même élan, elle s’oppose également à « toute utilisation abusive, politique ou commerciale, du sport et des athlètes ». Mais que seraient les J.O sans les abondants parrainages publicitaires, donnant à l’adjectif « abusif » une signification des plus improbables. Le spot mercantile devient un moyen pour le lauréat de la discipline porteuse de rentabiliser sa performance. Et combien apparaissent, sur les photos de presse, constellés d’autant de logos que de boules sur un sapin de Noël.
Afin de donner du lustre à leurs initiatives en faveur de l’athlétisme, les organisateurs de nos J.O les ont, dès l’origine, environnés de simagrées à l’antique. Les premiers de l’ère moderne se sont déroulés à Athènes, s’inspirant d’une initiative prêtée à Iphitos, roi d’Elide, en 776 avant JC . Il souhaitait ainsi mettre fin aux guerres ravageant sa contrée en instaurant une sorte de trêve rituelle. De nos jours, le 16 avril précédent les Jeux, sur les ruines du temple d’Héra, un ballet de figurantes, sapées façon péplum, simulent les prêtresses d’Hestia, ainée des Dieux et gardienne du feu sacré. L’une d’elles allume un brandon au soleil d’Olympie. La flamme sera ensuite baladée de pays en pays, et permettra d’allumer une grande vasque à l’entrée du stade de la ville ou se disputeront les jeux. Cette charmante coutume est née lors des 11e Jeux, en 1936, à Berlin. Les nazis aimaient bien brandir des torches et foutre le feu à de grandes vasques. Un universitaire allemand toqué d’hellénisme, Carl Diem, avait eu l’idée de ressusciter, pour l’occasion, les lampadophories, fête ou des coureurs s’élançaient, tenant en main un flambeau, en l’honneur d’Hephaïstos, d’Athéna et de Prométhée . Expert en mises en scène, le regrettable docteur Goebbels comprit tout de suite l’intérêt de la proposition en termes de propagande.
Ces Jeux de Berlin furent marqués, notamment, par le triomphe absolu de James Cleveland Owens, dit Jesse Owens, un afro-américain, obtenant quatre récompenses. Tout particulièrement la médaille d’or du saut en longueur, contre Lutz Long, le favori local, au physique plus aryen qu’une statue d’Arno Brecker. À l’issue de la compétition, sous les yeux du public et de la tribune officielle, les deux champions se livrèrent à des manifestations d’amitié. Mais, se plaît à raconter la mémoire collective, Adolf Hitler quitta le stade pour ne pas avoir à congratuler le vainqueur. Attitude conforme à sa doctrine ouvertement raciste. Il semble, toutefois, qu’il s’agisse là d’une légende urbaine. Différence entre le devoir de mémoire et la narration historique, l’un retient la force du symbole, l’autre l’exactitude des faits. Et du point de vue des faits, il existe un élément tangible. Dans ses mémoires, Owens rapporte: « après avoir passé le chancelier, celui-ci surgit en me saluant de la main. Je l’ai salué en retour. » L’anecdote démontre à l’évidence que, même dans l’abjection, nul n’est parfait.
Une certitude, en revanche: Franklin D. Roosevelt, de son côté, refusa de recevoir le champion à la Maison Blanche. En pleine campagne pour l’élection présidentielle, il craignait la réaction des États sudistes. À cette époque là, en Amérique du Nord, Jesse Owens avait la peau trop foncée.
Jean-Paul Demarez
(1) 5e des 7 principes fondamentaux de l’Olympisme
Source illustration: ©Gallica.
Dessinateur: Paul Ordner
Image (2) source: @Gallica
Merci pour cette description de la pantalonnade des prochains jeux olympiques dont la préparation pourrit depuis des mois la vie des Parisiens et dont on nous abreuve maintenant à longueur d’antenne. « Opium du peuple » ?
Pour poursuivre dans l’abjection olympique… Personne ne souhaitait que Jesse Owens fasse sa « razzia »…Il ne devait donc pas faire le relais 4 x 100 pour accrocher une 4e breloque… C’était bien trop pour un…
Mais on était en Allemagne… et qu’est-ce que les Allemands nazifiés détestaient davantage que les Noirs ?… Le comité olympique américain évinça donc les deux athlètes juifs prévus dans le relais… Ouf, Adolf n’allait pas faire une apoplexie ni salir sa mimine aryenne
Quant au retour triomphal de Jessie, cela ne lui garantissait pas de ne pas rentrer dans les Palaces par la porte de service…